Après trois échecs critiques et commerciaux successifs (Mon homme en 1996, Les Acteurs en 1999 et Les Côtelettes en 2003), Bertrand Blier est rapidement passé du statut de metteur en scène attendu à celui dont on se demande pourquoi il réalise encore des films. Porté par un casting édifiant, Combien tu m’aimes ? est à l’image de son interprète principale (Monica Bellucci) : m’as-tu-vu et satisfait de lui-même.
Quelques semaines avant sa sortie, le dernier film de Bertrand Blier faisait déjà parler de lui. Son affiche, placardée à outrance dans les couloirs de métro et sur les culs de bus, exhibait fièrement une Monica Bellucci en déshabillé rouge à côté de laquelle on pouvait lire « Combien tu m’aimes ? » Rien d’autre, si ce n’était une date de sortie nationale : le 26 octobre. Rassurés (quoique), nous savions que l’actrice italienne ne s’était pas lancée dans la téléphonie rose pour payer ses impôts mais tentait tant bien que mal de poursuivre une carrière cinématographique atypique, seule capable de travailler avec de grands réalisateurs sur leurs plus mauvais films (Spike Lee, Terry Gilliam).
Pour le coup, Combien tu m’aimes ? est peut-être l’un des pires films de Blier, lui qui comptait déjà quelques bons navets à son actif. Oubliez l’époustouflant Buffet froid, l’audacieux Tenue de soirée ou les subtils et mélancoliques Trop belle pour toi et Merci la vie. Là, on touche littéralement le fond. L’histoire : François (Bernard Campan) gagne une somme colossale au Loto. Un peu frustré et pas vraiment séduisant, il profite de cette richesse soudaine pour proposer à la belle Daniela (Monica Bellucci) de quitter le monde de la prostitution pour devenir… sa pute à domicile. Mais la jeune femme, qui revendique haut et fort le droit d’être « une poute » indépendante, ne quitte pas sans difficulté le monde infernal de la nuit et l’affreux méchant mac, Charly (Gérard Depardieu, inépuisable).
Bertrand Blier n’a manifestement peur de rien et utilise tous les poncifs les plus éculés sur la pute malheureuse qui espère — sans le savoir — qu’un prince charmant viendra la cueillir sur le trottoir. Sans surprise, on assiste au verbiage redondant d’un fin dialoguiste qui ne fait aujourd’hui plus mouche et qui s’auto-cite à outrance. Si, dans les années 1970, son œuvre bousculait certaines conventions d’un cinéma français parfois trop étriqué — triste reflet de l’ère Pompidou / Giscard -, il atteint, en 2005, des sommets de populisme et de démagogie, et arbore avec fierté une morale simpliste et hypocrite : l’argent ne fait pas le poids face à l’Amour.
Pensé, écrit et réalisé pour la pulpeuse Monica Bellucci, Combien tu m’aimes ? provoque un véritable malaise. On savait Bertrand Blier franchement misogyne mais il avait toujours eu l’intelligence de se confronter à des actrices de caractère, à la fois talentueuses, déterminées et à fleur de peau : Miou-Miou (Les Valseuses, Tenue de soirée), Carole Bouquet (Buffet froid, Trop belle pour toi) ou encore Anouk Grinberg (Merci la vie, Un, deux, trois soleil, Mon homme). Pour l’actrice italienne, l’intérêt du cinéaste s’est clairement limité à un cul et à une paire de seins, à tel point qu’on en vient sérieusement à se demander si le projet n’a pas été pensé dans l’espoir insensé de… Il suffit de lire quelques phrases de l’entretien accordé par Bertrand Blier pour le dossier de presse : « Monica met l’ambiance. Elle arrive, s’assied, fume une cigarette et elle met l’ambiance. On a tous envie de se la faire, c’est évident, même si on n’est pas obsédé sexuel. » Et pour ceux qui douteraient encore du sens même de cette célébration assez régressive, citons celle-ci : « Il y a de l’opulence chez elle. Et nous, on aime bien ça l’opulence. On aime bien les femmes quand on sait par où les attraper, quand il y a quelque chose pour s’accrocher. Sinon, il faut pitonner car on est parfois sur des parois lisses. » Plus généralement, de là à dire que Blier a un sérieux souci avec les femmes, il n’y a qu’un pas que nous ferons sans la moindre hésitation. Aussi, justifie-t-il cette histoire abracadabrante en affirmant que « ce n’est pas plus absurde que de payer une prestation compensatoire à vie. Ça se tient. Il y a des filles avec lesquelles on paie avant et puis d’autres où l’on paie après. L’homme paie. » A‑t-on besoin d’ajouter autre chose ?