Tout comme Le Bruit des glaçons, précédente réalisation de Bertrand Blier, Convoi exceptionnel repose sur une astuce scénaristique, ici une mise en abyme du processus du film lui-même, les personnages recevant au fil des scènes les pages d’un scénario à suivre. Très vite, ce jeu cinématographique laisse toutefois place à une métaphore existentielle dans laquelle chaque nouvelle page semble écrire un destin. Cette lourdeur symbolique étouffe dans l’œuf chaque embryon d’intrigue (policière, sentimentale, de science-fiction…), le film ne devenant, petit à petit, plus qu’une coquille vide. En cela, la dernière scène, improvisée par Gérard Depardieu qui récite une recette de poulet rôti, dit très bien la vacuité à laquelle aboutissent une heure et vingt minutes interminables.
Fable aux violons
Le registre de la farce se double constamment d’un pendant lyrique et sentimental dont la naïveté répond à la facilité des bons mots et à la grossièreté des calembours. La séquence de la boulangerie, dans laquelle Foster (Clavier) et Taupin (Depardieu) observent à l’aube le ballet d’une femme sortie de la nuit qui vient ici se faire offrir un croissant et un café, est symptomatique du rapport irrésolu du film à son projet. La caméra filme tout d’abord les deux hommes fixant la vitrine fermée. Puis leurs visages prennent une teinte chaude presque magiquement ; on devine que la boutique s’est allumée. En contrechamp, la boulangère remonte ses stores un à un. Son geste s’accompagne alors d’une musique aux cordes dégoulinantes qui surplombe toute la suite de la scène : l’arrivée de la femme, les brefs dialogues forcément révélateurs d’une réalité sociale, puis son départ dans la neige. Elle s’éloigne lentement jusqu’à arriver à la hauteur d’un arbre mort et lève les yeux en direction de ses branches nues pendant que les violons redoublent d’intensité. Taupin s’exclame alors « C’est quoi cette musique ? ». Foster lui répond qu’il y a toujours de la musique triste quand les femmes s’en vont. Cet échange, s’il révèle instantanément les grosses ficelles que tire la séquence, n’a pourtant aucune portée ironique et prolonge un premier degré qui, sous couvert d’humour et de détachement, constitue en vérité l’unique registre du film. Les traits d’esprit succèdent aux poncifs et les mots crus se mêlent aux considérations philosophiques de haute tenue : « Où elle est votre boulangerie ? Où il est l’amour de ma vie ? » ou encore « – C’est dur le cinéma. – La vie aussi, c’est dur. »
Sociologie de comptoir
Le film se montre cependant le plus gênant lorsqu’il semble vouloir tenir un discours social. Tous les personnages reposent sur des clichés éculés et sont écrits comme des caricatures de leurs milieux respectifs : l’aristocrate qui joue au tennis au Touquet, la bourgeoise nymphomane, l’immigrée battue par sa mère avec la prostitution ou le deal pour unique horizon, la SDF à dreadlocks… Cette logique paraît tellement implacable que lorsque Foster, dans un rebondissement inexplicable, se retrouve à la rue, il passe immédiatement de la caricature du bourgeois à celle, tout aussi grossière, du clochard dont la dimension comique, due à la maladresse – voulue ou non – du portrait, interroge. Un plan contient en lui-même toute l’idéologie du film. Il intervient après un dialogue entre Foster et sa femme au cours duquel elle a fini par lui avouer qu’elle ne l’a jamais aimé. Alors qu’elle démarre sa voiture pour partir, la caméra reste fixée en gros plan sur la carrosserie. Quand finalement l’automobile avance, on découvre derrière elle Taupin et son amour retrouvé, allongés l’un sur l’autre sur un carton à même le trottoir. Visuellement, l’antagonisme entre les deux couples ne pouvait être plus appuyé : le chic années 1950 des Foster contre la crasse de Taupin et Jennifer. C’est précisément parce que les personnages répondent à de tels stéréotypes que ce plan s’alourdit d’une morale aussi évidente que douteuse : l’amour ne peut exister chez les riches qui ne connaissent que la froideur et la trahison, alors que les pauvres s’aiment forcément avec tendresse et pureté. On est moins malheureux à deux sur un carton que seule dans un vison.