Après cinq ans d’absence et près de quinze ans de films catastrophiques, Bertrand Blier opère un come-back moins raté qu’on n’aurait pu le craindre. Si la verve habituelle tourne encore parfois à vide et qu’on décèle ici et là un poujadisme pas très glorieux, Le Bruit des glaçons bénéficie d’une mise en scène moins paresseuse qu’à l’accoutumée mais surtout d’un casting parfait, Jean Dujardin en tête.
Depuis le milieu des années 1990 et l’effondrement prévisible de Bertrand Blier dans le paysage cinématographique français, sa relation avec la critique s’était sacrément tendue : paresseux, populiste, réactionnaire, misogyne, tous les noms d’oiseaux ont pu y passer, souvent à raison, pour justifier l’échec des Côtelettes (l’une des plus grandes hontes de la sélection cannoise de ces dernières années) ou encore de l’indigent Combien tu m’aimes. Du statut de dialoguiste reconnu, Blier avait fini par incarner une certaine figure du Français moyen, parfois franchement beauf, obsédé par l’argent et la quête d’une perfection féminine faite mère. À lire le dossier de presse du Bruit des glaçons, on était en droit de craindre à nouveau le pire, le réalisateur y expliquant par exemple que « les plans sublimes, la belle lumière, ça n’intéresse plus grand monde » ou encore que le personnage de Louisa (Anne Alvaro) est « la femme essentielle, juste, attentive, tendre, à l’écoute, la quintessence de la femme quel que soit son âge ». Et même si nous n’iront pas jusqu’à corroborer les propos d’Albert Dupontel lorsqu’il dit de Bertrand Blier qu’ « il est un David Lynch français, mais en plus drôle !», Le Bruit des glaçons ne laisse cependant pas le même arrière-goût rance que les derniers films de l’auteur regretté de Trop belle pour toi.
Blier, c’est aussi le roi de l’idée scénaristique tellement saugrenue qu’on la suspecte vite d’être foireuse. C’est le cas ici. Jean Dujardin est Charles Faulque, un célèbre écrivain qui a perdu le goût de vivre depuis le départ de sa femme. Il a depuis sombré dans un alcoolisme qui le fait errer sur les terrasses de sa belle maison perdue au beau milieu des Cévennes. Alors au fond du trou, il reçoit la visite de son cancer. Celui-ci arbore les traits d’Albert Dupontel et est prêt à tout pour pourrir les derniers instants qu’il lui reste à vivre. Mais c’était sans compter sur Louisa (Anne Alvaro), la bonne prête à tout pour épauler dans cette épreuve cet homme déchu mais chéri, quitte à sacrifier aussi ce qui lui reste à vivre. En effet, elle ne tarde pas à recevoir également la visite d’un cancer un peu pot-de-colle à qui l’inénarrable Myriam Boyer prête ses traits. Pour Charles et Louisa, c’est un véritable bras de fer que chacun va mener contre la maladie, la mort mais aussi les regrets et les ratés de leurs existences respectives. De cette étrange idée, Blier tire une substance pas toujours très heureuse, mêlant bons mots loin d’être époustouflants (« Un cancer, ça vous colle au cul comme la merde quand il n’y a plus de papier ») et situations plus ou moins cocasses où les visions sont sources de malentendus plutôt prévisibles. Et bien que Blier s’en défende, on pourra tiquer sur la mise en opposition de deux représentations de la femme un brin caricaturale : d’un côté, celle dont l’amour guérit toutes les plaies et permet de surmonter les réticences physiques (Anne Alvaro), de l’autre, celle qui a la jeunesse et les formes mais qui est assujettie au spleen lorsqu’elle comprend ne provoquer chez les hommes qu’un désir sommaire et animal (Christa Theret).
Alors que reste-t-il au Bruit des glaçons pour se situer à un niveau légèrement supérieur que tous les films réalisés par Blier depuis Merci la vie et Un, deux, trois, soleil ? Sans parler d’une ampleur mélancolique qui faisait la force d’un Beau-Père, de Préparez vos mouchoirs et surtout de Trop belle pour toi, sans non plus bousculer — avec plus ou moins de délicatesse — le petit bourgeois spectateur de Buffet froid et Tenue de soirée, le réalisateur insuffle à son Bruit des glaçons l’énergie — variablement communicative — de ces faiseurs d’histoire qui sentent que l’inspiration les quitte et qui tentent, dans un dernier sursaut, de faire un joli pied de nez à cette mort (spirituelle ou physique) à laquelle tout le monde les condamne. Le Bruit des glaçons a peut-être ce quelque chose du dernier film avant l’oubli. Et c’est peut-être dans cet esprit que l’ensemble des acteurs (impeccables) a prêté sa voix pour donner à ce film très mineur le trouble d’un modeste chant funèbre.