Avec l’histoire de Michel, la quarantaine, inventeur raté, fils adoptif d’un grand écrivain et marié à une réfugiée congolaise, Philippe Falardeau aborde le film de famille sous un angle sensible, parfois drôle, porté par un Olivier Gourmet au top. Outre ses acteurs, c’est surtout sa mise en scène et la construction originale qui tire Congorama vers le haut, présentant de belles touches sensibles.
Michel Roy a la quarantaine. Il est belge, travaille à Liège comme ingénieur, et est accessoirement un inventeur frustré. Son père, Hervé, campé par un Jean-Pierre Cassel tout en regards – son personnage est paralysé – est un fameux écrivain. Sa femme est une réfugiée congolaise et son fils Jules ne rêve que de balles de tennis quand Michel voudrait lui insuffler le virus de l’invention. Lorsque Michel apprend qu’il a été adopté, il se met en tête de retrouver sa famille biologique, au Québec. Commence alors une sorte de road-movie dans les grands espaces de l’été canadien, avec un compagnon de fortune dont on ne tardera pas à découvrir la véritable identité.
L’histoire de Michel, cet anonyme en quête de reconnaissance, aiguise notre curiosité ; ce paumé est un tendre, qu’on a envie de voir sourire et s’épanouir, dans le gris de la Belgique. Le scénario du Canadien Philippe Falardeau, réalisateur en 2002 de La Moitié gauche du frigo, construit une communauté de personnages éclectiques, reliés par des racines africaines. Les imbrications des éléments biographiques de chaque personnage sont bien pensées, et tissent une véritable histoire familiale aux quatre coins de la planète, entre le Congo, le Québec et la Belgique, qui tient finalement par les sentiments. Pas de violence dans cette famille « recomposée », alors que les déséquilibres de départ aurait pu la mener sur la pente de la déstabilisation psychologique : Aline, la femme de Michel, a fui le Congo après que son père, marchand de diamants, a été assassiné par des chefs de guerre. Jules est traité de « bâtard ». Hervé, le père adoptif, est sorti de l’hospice et pèse un peu sur les épaules de Michel. Lui a un peu de mal, au milieu de ce fourbi, à trouver sa place.
À la recherche de cette place, Philippe Falardeau opte alors pour une construction en deux parties, qui tourne autour de l’axe « Michel »; celle de la recherche des racines au fin fond du Québec, et celle du retour en Belgique, rempli d’une identité renouvelée. Cette option, ainsi que la mise en scène de Congorama, confère au film une belle originalité. Jouant sur les flash-backs et les incrustations des images des expositions universelles de 1958 à Bruxelles et de 1967 au Canada, deux événements qui relient les naissances de Michel et de son frère Louis (dont il fait la connaissance à Sainte Cécile, bled canadien de quelques âmes fans de country), le cinéaste déroule petit à petit le fil d’une histoire familiale, qui sera ré-enroulé, chaque chose s’emboîtant, lors du retour en Belgique.
Ce point de vue permet de rattraper l’histoire quand on pensait que tout était tracé ; la dernière partie, lorsque Louis vient en visite chez son frère en Belgique, est la plus touchante. C’est le moment où les personnages sortent un peu d’eux-mêmes, quand ils étaient parfois trop en retrait au début. Car la petite faiblesse de Congorama réside dans une première partie parfois trop « pensée », ce qui laisse peu de place au spectateur. Dans la partie canadienne, les mailles du scénario ont tendance à lâcher, pour s’intéresser au personnage de Louis, le frère de Michel, sans que son histoire, bien trop longue, soit bien amenée. À l’insu de Michel, on reconstitue son histoire familiale trop vite. Les coïncidences et les symboles sont trop marqués : Louis fait aussi dans les diamants et la bricole, à défaut d’être un vrai inventeur, une affiche derrière Michel à son arrivée à l’aéroport de Montréal annonce « Québec, le retour aux sources », le fils de Michel porte la même tâche de naissance que son grand-père biologique, et la découverte des plans d’un prototype de moteur révolutionnaire conçu par le père biologique de Michel, relie trop facticement les trois hommes.
Un cinéaste ne peut exceller dans tous les genres, et Philippe Falardeau n’est pas très à l’aise dans ce qui s’apparente au début à un road-movie – l’émeu dans la bande-annonce nous laissait pourtant présager de belles tranches de rire servies par une ironie et un sens de l’absurde bien frappé. En revanche, il faut lui reconnaître un vrai talent pour les touches sensibles et poétiques, toutes celles qui se développent dans la dernière partie de son film : le diamant qui s’est niché, lors d’un accident, derrière l’œil de Michel, son fils lisant des passages de Congorama, ultime livre d’Hervé contant la véritable histoire familiale, la prise de conscience de Louis qui s’autorise un beau moment de tendresse avec son frère. En définitive, Congorama est une histoire familiale qui se mérite. Car s’il n’y a pas véritablement de suspens dans la découverte des véritables identités, il y a un vrai plaisir à voir se développer une vraie palette de sentiments sur le visage des personnages.