Guibord s’en va-t-en guerre se présente d’abord comme un road movie tranquille sillonnant les forêts riantes du Québec nord, sur fond de fanfare et de Cha-Cha-Cha à la Henry Mancini. Le député et ancien joueur de hockey Steve Guibord, accompagné de son fidèle stagiaire Souverain Pascal, y parcourt sa petite circonscription de Rapides-aux-Outardes pour régler les affaires courantes mais aussi consulter ses électeurs sur un épineux problème : faut-il que le Québec s’engage dans la guerre au Moyen-Orient ? Seul à ne s’être pas encore prononcé dans ce référendum où les scores sont à égalité, voilà le député et sa modeste région projetés sous les feux de la grande scène internationale. Le film dans son ensemble reproduit quant à lui ce même geste : celui de mettre considérablement en avant les détails d’une politique de province, au risque de s’y égarer.
Absurde et politique
À l’instar de La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko ou de Gaz de France de Benoit Forgeard, Guibord s’en va-t-en guerre choisit lui aussi le genre de la comédie satirique pour dévoiler l’absurdité régnant à tous les niveaux de la vie politique contemporaine : un syndicat d’ouvrier fait un barrage routier en réponse un autre barrage construit par les Algonquins, un maire veut absolument la guerre pour créer de l’emploi, le Premier ministre du Québec joue de la guitare électrique dans son bureau avec sa gamine de douze ans. Mais la gentille fable comique de Falardeau, pleine de personnages stéréotypés et bienveillants (la fille de Guibord est une adolescente rebelle mais pacifiste, son épouse, jouée par Suzanne Clément, est autoritaire mais dévouée), se laisse contaminer par le phénomène de paralysie générale qu’elle dénonce. De même que le député s’empêtre dans l’imbroglio des affaires locales, le film entier se perd dans la boucle ennuyeuse des allers-retours de Guibord, s’enlise dans la simple anecdote humoristique – une séance amusante de lecture d’une poétesse Castafiore, ou encore des miettes de petit four perdu dans le canapé du premier Ministre.
Ce mécanisme d’essoufflement et de chute burlesque faisant état du vide politique actuel aurait pu fonctionner s’il n’était pas au service d’une vision volontairement anachronique de ce même monde politique. Là où par exemple Gaz de France dénonçait avec un certain brio l’emprise totale de l’opinion et du storytelling sur la politique d’aujourd’hui, le réalisateur se contente d’évoquer l’éternel conflit entre intérêt privé et « Bien commun » qu’évoquait déjà Rousseau dans Le Contrat social : des maires jusqu’au ministre, en passant par Guibord lui-même, chacun agit ici avec cynisme au nom de son propre profit.
Le souverain Pascal
L’humour de ce conte philosophique un peu suranné est heureusement rattrapé par un personnage particulièrement réussi : le stagiaire Souverain Pascal qui sert de spin doctor à Guibord. Nouveau « valet » de comédie bien plus brillant que son maître, Souverain cite à tort et travers Rousseau, Voltaire et Montesquieu, témoignant d’une érudition phénoménale en matière de sciences politiques complètement décalée par rapport au quotidien prosaïque de Guibord. Les deux personnages forment alors un couple platonique et inséparable, assemblant de manière jouissive les deux faces inconciliables de la politique : l’idéalisme d’une part, le pragmatisme de l’autre. La joie qui se dégage du film, assurément, vient de ce personnage ingénu, passionné et malin, capable des solutions les plus ingénieuses grâce à son herméneutique savante des affaires du monde. Grâce à lui, la comédie de Philippe Falardeau respire un peu, rêve le triomphe de la culture et de l’intellect, s’échappe enfin vers un ailleurs salutaire : la petite ville de Port-au-Prince, auprès de laquelle Souverain raconte via Skype la vie politique québecoise, seul et unique moment de storytelling authentiquement contemporain.