Acteur principal, coscénariste et coproducteur de cet Outsider, l’estimable comédien Liev Schreiber s’est offert « son » biopic édifiant avec performance sur mesure (quoique plus modeste que ceux qui peuplent chaque année les short-lists pour Oscars et Globen Globes), avec le concours du réalisateur québécois Philippe Falardeau. Il est vrai que le personnage de Chuck Wepner, pas vraiment inscrit dans les annales des personnalités marquantes, ne manque pas de pistes intéressantes à filmer. Ancien champion de boxe poids lourds du New Jersey, celui qu’on surnommait « The Bayonne Bleeder » (du nom de la ville de son enfance dans cet État) pour sa capacité à encaisser les coups jusqu’au sang est surtout resté dans l’histoire pour avoir tenu 15 rounds face à Muhammad Ali en 1975, une vaillante défaite qui aurait inspiré à un acteur de seconds rôles nommé Sylvester Stallone le scénario de Rocky qui lui ouvrit – contrairement à Wepner – les portes de la gloire. De ce parcours, on entrevoit la promesse d’un personnage aux facettes multiples et successives. Son surnom semble le destiner au rôle de quartier de viande sacrificiel sur l’autel du spectacle sportif (on l’envoie même combattre un ours de cirque !). Puis, face à l’insurmontable (Muhammad Ali), une posture morale le dresse en punching-ball, résigné à ne pas gagner, mais décidé à briller à la place de challenger. Espoir de perdant magnifique entretenu d’abord pour soi, mais corrompu par un prolongement qu’il n’attendait pas (le triomphe de Stallone) : le mirage de la gloire dans ce rôle qu’il a joué l’enivre, le brûle (drogue, femmes) et le met au tapis… avant qu’il ne se relève pour sortir modestement du ring de la célébrité.
Requiem pour un second rôle
Toutes ces possibles lectures alternatives de Chuck Wepner se lisent bien dans le film de Falardeau et Schreiber, mais quelque peu rabotées et assujetties au rythme imposé d’un classique récit de rise and fall and redemption – où cependant l’ascension n’appartient pas au héros et où la rédemption en reste à peu près à la note de conclusion. Outsider se résume essentiellement à l’histoire d’un loser d’abord déterminé à tenir sa place dans l’ombre des grands, mais qui dégringole quand il croit entrevoir une possibilité de briller plus fort. La tactique du film se ramène alors, comme souvent, à créer l’empathie avec un personnage souvent démonstratif et pathétique, tandis que ses illusions se cognent violemment dans les murs d’une réalité très prévisible. Cela n’est pas toujours évident, tant les coutures du systématisme de la pratique hollywoodienne sont souvent apparentes : dans le jeu consciencieux mais un peu trop épais de certains acteurs, comme Schreiber mais aussi Ron Perlman dans le rôle du coach ; dans l’utilisation automatique de certains motifs pour figurer l’horizon que se rêve Wepner, comme le passage télévisé répété du film Requiem pour un champion avec Anthony Quinn, auquel il s’identifie ; enfin, dans l’immanquable invocation d’un attirail narratif devenu conventionnel et un peu fatigant pour le genre, abus de commentaires off, alternance aux allures de zapping entre séquences anecdotiques courtes et séquences longues appelant à plus d’attention…
À l’arrivée, le film, peinant à se détacher du tout-venant du biopic (on a du mal à oublier Raging Bull de Scorsese), est essentiellement tiré au-dessus du néant par les quelques moments où il prend de la distance avec son protagoniste pour mesurer la désillusion dans les yeux d’autres personnages. On retient ce portrait court et ambigu de Stallone himself (joué par Morgan Spector), dépeint comme un gaillard plutôt sympa mais pris entre une sincère envie d’aider Wepner – auquel il est d’une certaine façon redevable – à croquer un bout de sa gloire, et une certaine soumission au système qui vient de l’accepter et dans lequel l’autre, l’outsider trop fébrile, ne cadre décidément pas. Et on sauvera aussi le personnage de Linda, la première épouse de Wepner jouée par une convaincante Elisabeth Moss, qui a le bon goût de ne rien laisser passer à l’homme, d’où des scènes de rupture refrénant leur potentiel mélodramatique pour cingler à la face de l’antihéros en le renvoyant à sa vanité. Un peu de cette amertume pour donner du goût à un biopic : ce n’est pas grand-chose, mais c’est un challenger qu’on n’a pas vraiment envie de laisser à terre…