Outre la version de Pasolini, le Décaméron a été adapté, au moins partiellement, maintes fois au cinéma et à la télévision (y compris en teen movie). C’est au tour des frères Taviani (César doit mourir) de proposer leur approche de ce recueil de scandaleuses nouvelles écrit au XIVe siècle par Giovanni Boccaccio dit Boccace. Le principe originel de récits dans le récit est évidemment respecté. Fuyant la ville de Florence ravagée par la peste, des jeunes gens des deux sexes se réfugient dans une maison de la verdoyante campagne toscane, s’y organisent en communauté et, pour oublier la morosité des temps, décident que chaque jour des histoires seront contées à l’assemblée. Du léger au grave, du bouffon au tragique, du courtois au licencieux, ces histoires font toutes preuve d’une capacité à l’entorse à la morale conservatrice, d’autant plus que la plupart sont des histoires d’amour – lesquelles maintiennent immanquablement en éveil les appétits de vie de l’auditoire. Cependant, au-delà du thème un peu trop évident et général de l’amour, tous ces récits – y compris celui qui amène les autres – sont animés par les tensions de dilemmes récurrents, de choix à faire encore et encore et qui caractérisent les conflits entre les désirs individuels et les épreuves communautaires (l’épidémie, l’ordre social…) : s’abandonner à la vie ou à la mort, maintenir ou rompre les liens entre les êtres, choisir ce qu’il faut sacrifier.
Le petit Boccace illustré
Le film des Taviani s’apparente à un catalogue partiel de ces cas de figure – un catalogue aux histoires assez édifiantes et bien tournées pour attirer l’attention, mais dont la formulation à l’écran ne paraît étrangement pas si concernée par les enjeux qu’elles posent. On entrevoit ce qui sous-tend les intrigues, dans la comédie ou dans le drame, mais on ne trouve dans les images qu’une illustration en deçà de ce potentiel, partagée entre le simple rendu de ce qui est filmé et l’obsession de son propre soin, d’où une tenue un peu raide de l’ensemble. Chaque plan semble chercher à la fois limpidité et rigueur, ce qui produit parfois des images d’une frontalité sidérante (comme cette chute suicidaire au début, choc garanti plus brutal que l’exposition des bubons de la peste), mais au moins autant d’autres empesées dans le soin ostensible appliqué à les rendre « bien faites » autant qu’évocatrices (d’où des effets à la maîtrise peu captivante, comme les fondus enchaînés). Un des symptômes les plus notables est la forte présence des gros plans de visages, des portraits où la mise en scène semble chercher l’expressivité des regards et des traits suivant l’objectif d’une limpidité parfaite. Mais la proximité de la caméra vis-à-vis des corps contrecarre à peine la froideur de l’approche, et dans cette insistance on voit surtout une fragilité, une crainte de perdre non pas la limpidité mais l’évidence de celle-ci – les visages dont la caméra ne tire à l’arrivée pas grand-chose ne seraient finalement que des signes extérieurs de l’intention des cinéastes. On accordera que cette crainte sourde apporte un peu d’âme à un ouvrage dont les lignes académiques ne font guère honneur à l’irrévérencieuse vigueur de l’œuvre de Boccace.