Fâcheuse habitude que celle prise par les distributeurs français de rebaptiser les films américains en anglais. Par voie de retitrage, Trainwreck (« désastre ambulant ») devient donc ici Crazy Amy, comme s’il fallait accentuer les travers de l’héroïne, forcément dysfonctionnelle puisqu’elle aime boire et baiser. Welcome back chez Judd Apatow qui, au prétexte d’inverser les rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes, semble plus que jamais soucieux de les convertir au bonheur conjugal qui lui tient lieu de morale. La caution néo-féministe qu’il trouve aujourd’hui en Amy Schumer, scénariste et interprète de ce cinquième long-métrage, dissimule assez mal qu’au fond, les marottes du réalisateur et producteur américains sont restées les mêmes ; elles ont juste changé de mains.
MonogAmy
Relativement peu connue en France, Schumer est une stand-up comedian new-yorkaise qui a débuté sur les planches du Gotham Comedy Club de Chelsea en 2004, avant de rencontrer le succès neuf ans plus tard avec une émission satirique, Inside Amy Schumer, titre dont l’allusion sexuelle se passe de traduction. L’écriture de ce projet sur mesure est sous haute influence de son parcours d’humoriste, qui envisage la moindre saynète en fonction de son potentiel comique. Fusant en tout sens, les sketchs s’enchaînent sans nuire au déroulé d’un récit qui prépare inéluctablement notre célibattante à sa rédemption par la monogamie. Amy rallie tous nos suffrages dans la première heure du film, quand les amants qu’elle multiplie ne servent qu’à assouvir un libertinage effréné, mais qui, d’emblée, est jugé problématique. Et pour cause, puisqu’il procède d’une scène primitive qui voit le père intimer à ses deux filles de ne pas céder aux chimères de la vie de couple une fois devenues adultes. L’une appliquera ce credo à la lettre, l’autre le démentira grâce à un mariage heureux.
Il n’est pas indifférent que cet homme soit mis en minorité à mesure qu’Amy suit la trajectoire inverse de celle qu’il lui avait tracée dès l’enfance. Dans une formidable prestation (qui fait oublier qu’il est trop jeune pour le rôle), le comédien Colin Quinn, ancien de Saturday Night Live, campe un vieil atrabilaire irlandais de Brooklyn autrement plus incarné que le chirurgien orthopédiste dont s’entiche sa fille (Bill Hader, délibérément terne). Il ne s’agit pas ici d’adhérer au discours paternel plutôt qu’à celui de la sœur d’Amy (Brie Larson, parfaite en jeune femme au foyer sûre de ses choix), de faire l’éloge de l’infidélité contre l’institution matrimoniale. Simplement de noter à quel point les personnages d’Apatow n’existent désormais plus en dehors de leur domestication. « I’m not crazy because I got married, that’s what people do !» lâche, lors d’une dispute, Kim à sa frangine. Parfaitement crédible, ce grégarisme auquel Amy finira par se résoudre n’en est pas moins révélateur d’un imaginaire amoureux singulièrement normé.
Back in Town
À marche forcée, les figures hautes en couleur sont évacuées l’une après l’autre, du sans-abri vivant au pied de chez Amy à sa rédactrice-en-chef bitchy à souhait (Tilda Swinton, épatante à contre-emploi). Cette logique éliminatoire empêche tout investissement émotionnel dans le duo gagnant, dont les rires sont communicatifs, rarement les doutes. Du film, est aussi absente cette mélancolie qui constitue l’envers des grandes comédies d’auteur, comme celle qu’avait réussie Apatow avec Funny People, et dont il ne retrouve pas la fragile alchimie en déplaçant son univers à New York. On attendait davantage de ce retour aux sources du natif de Queens, lui aussi formé dans le circuit des clubs locaux. Si Crazy Amy abonde en observations attestant de l’intime connaissance qu’ont Schumer et Apatow de leur ville, ils se contentent d’aligner des vignettes, notamment sur ses franchises sportives, là où, sans doute, ils s’imaginent faire un portrait. Conçu comme une rampe de lancement de son interprète principale vers le vedettariat, le film polit enfin les aspérités du style très raunchy de Schumer, lui préférant un vernis pop culture au brillant de nouveau riche. C’est qu’il s’assume aussi comme la dernière déclinaison en date de ce féminisme glamour promu par Lena Dunham et qui n’aspire à rien d’autre qu’à l’exposition triomphante de sa différence (vis-à-vis des hommes, mais aussi d’une image éternellement perfectible de la femme). Autre protégée d’Apatow, la créatrice de la série Girls a de fait ouvert la voie à une autodérision générationnelle plutôt futée mais qui, étrangement, continue d’être célébrée comme une forme de subversion. À y regarder pourtant de près, chez l’une comme chez l’autre, les personnages sont condamnés à la même peine : une fois acquise une émancipation de principe, c’est à l’assignation à résidence qu’elles se résignent, plus ou moins docilement.