Auréolé de trois Oscars dont celui de la meilleure actrice pour Julie Christie, Darling est le film qui permit à John Schlesinger de mettre un pied à Hollywood. Il n’y mettra les deux qu’après avoir tourné Loin de la foule déchaînée en 1967. Avec ce portrait d’une jeune arriviste inconséquente devenue femme du monde, le réalisateur laisse éclater toute sa spontanéité et son ironie. Dommage que l’ensemble soit très inégal et plombé par une voix-off qui n’apporte pas grand-chose à l’ouvrage.
Après l’avoir dirigée pour un petit rôle dans Billy le menteur, John Schlesinger a sans doute perçu l’énorme potentiel de la jeune Julie Christie, pas encore devenue star après sa participation au Docteur Jivago de David Lean. C’est tout autour de l’actrice que le réalisateur a construit Darling, portrait d’une jeune femme au physique avantageux à qui la vie ne cesse de sourire… jusqu’au violent retour de bâton. Avec inconséquence et un soupçon d’arrivisme, elle passe de bras en lits, multipliant les aventures masculines pour mieux gravir l’échelle sociale. Ni vraiment brillante ou cultivée, Diana Scott, de son vrai nom dans le film, virevolte au gré des opportunités, les saisissant sans les avoir consciemment provoquées. C’est cette absence de culpabilité mêlée à une insaisissable inconscience du monde que le réalisateur illustre, jusqu’à ce qu’un trop plein finisse par fêler le dispositif, mette en doute la conviction de la jeune femme que les valeurs n’apportent aucun enrichissement, au contraire de ses liaisons avec ses amants influents. Derrière elle, c’est la première moitié des années 1960 qui défilent avec, en germes, l’émancipation de la femme et la libération sexuelle.
Misogyne et moraliste, John Schlesinger ? Le doute était permis dans Un amour pas comme les autres, son premier long-métrage, où il faisait vivre un véritable enfer matriarcal à un jeune homme inconscient de la lourdeur des stéréotypes familiaux. Ici, la question devient inévitable car il ne s’agit plus d’un arrière-plan mais de la colonne vertébrale du film. À l’instar d’un François Ozon quelques décennies plus tard, le réalisateur britannique malmène sa poupée Barbie avec une satisfaction manifeste en lui faisant progressivement payer un égoïsme qui l’a conduite à blesser les hommes ayant partagé sa vie. Face à cette vacuité croissante qui envahit le quotidien de Diana, le réalisateur n’offre pas à son personnage la prise de hauteur attendue. Le recours démonstratif à une voix-off bien trop présente – alors qu’elle n’apporte pas vraiment d’autre éclairage que ce que les images nous montrent – vient à bout de toute l’empathie que l’on pourrait avoir pour ces questionnements existentiels. Comme si le mépris avait eu raison du projet de départ, la jeune femme finit même par perdre en consistance, s’effaçant devant une galerie d’acteurs anglais au diapason (Dirk Bogarde en tête).
Finalement, l’intérêt premier du film ne repose pas tellement sur le personnage de Diana que Julie Christie incarne manifestement mieux dans la légèreté et la séduction que dans la gravité. Ce qui séduit davantage dans Darling, c’est la cocasserie de certaines scènes rondement menées que John Schlesinger juxtapose toutefois de manière inégale. Une improbable fête parisienne flirte avec l’orgie psychédélique typiquement sixties où chacun joue à incarner un autre pour dire des vérités par forcément bonnes à entendre. À Capri, c’est carrément un vent de libération sexuelle qui souffle, notamment lorsque le réalisateur met en scène une complicité désinvolte entre Diana et son nouvel ami homosexuel, draguant aux terrasses des cafés, loin de tous les clichés auxquels le cinéma n’aura de cesse de nous habituer par la suite. C’est cette modernité-là qui sied davantage à Darling, plutôt que les élucubrations d’une petite fille un peu trop gâtée qui finit par se rendre compte trop tardivement que son rêve de petite fille était en fait un cadeau empoisonné.