Tamasa Productions a la bonne idée de ressortir sur les écrans les trois premiers films de John Schlesinger, réalisateur britannique dont on circonscrit trop souvent l’intérêt à ses deux principaux succès hollywoodiens : Macadam Cowboy et Marathon Man. Son premier long-métrage, Un amour pas comme les autres, a pourtant remporté l’Ours d’Or à Berlin et participé aux fondements d’une nouvelle vague du cinéma social anglais des années 1960.
Dès les premiers plans, John Schlesinger ancre son film dans un territoire bien défini, celui des villes industrielles du nord de l’Angleterre. Ambiance brumeuse et couleurs grisâtres constituent donc le principal décor d’un jeu de séduction qui, à l’aube des années 1960, quelque part entre puritanisme et libération sexuelle, va progressivement sombrer dans le sordide jeu de massacre. Victor (Alan Bates) est un jeune homme issu de la classe ouvrière ; loin d’être un adolescent, il travaille en qualité de dessinateur industriel mais vit toujours chez ses parents, désespérant de trouver un jour une jeune femme avec qui il pourrait fonder une famille. Ses espoirs semblent comblés lorsqu’il croise la route de la jolie Ingrid (June Ritchie), une collègue de travail, avec qui il va progressivement se lier jusqu’à ce qu’une grossesse non désirée les oblige à se marier et à s’installer chez la mère de la jeune femme, une veuve matérialiste, possessive et caractérielle.
Là où Un amour pas comme les autres se révèle finalement le plus passionnant, c’est dans sa capacité à capter l’air d’une époque. Loin de s’en tenir aux clichés du drame romantique, John Schlesinger confronte habilement ses deux personnages aux tabous de 1962. La question de la sexualité est quasiment de toutes les scènes, comme une ombre planant sur l’équilibre du couple en devenir. Sans en faire un point de rupture immédiat, comme l’a fait Elia Kazan dans La Fièvre dans le sang, le réalisateur britannique laisse d’abord s’installer une véritable tendresse entre les personnages. La caméra est caressante, les plans s’étirent, comme dans ce très joli plan-séquence où les deux tourtereaux s’abandonnent au premier baiser dans un cinéma. Mais, rapidement, Schlesinger traduit la cassure, le fossé grandissant entre un homme sur la réserve et obnubilé par un désir terre-à-terre et une femme qui s’égare en aériennes futilités. Les deux personnages sont isolés au cadre, captés dans des axes contradictoires (plongées/contreplongées).
Les hommes sont peu affirmés, tandis que les femmes ont très clairement le mauvais rôle dans Un amour pas comme les autres : les mères y sont autoritaires et possessives tandis que les filles répandent des idéaux tout aussi conservateurs sur les obligations masculines. Pour qui espérera un peu de progressisme de la part de Schlesinger, ses attentes risquent de rester en berne. Pourtant, le propos du film n’en est pas pour autant misogyne. La méchanceté crasse de la mère d’Ingrid met surtout en exergue des rapports de classe, un dispositif social qui contraint les moins téméraires à reproduire des codes qui les enferment et dont les femmes sont les premières victimes. Tout en évitant le portrait à charge indigeste, le réalisateur capte surtout une mélancolie teintée d’une étouffante frustration, celle de ne pas avoir la possibilité d’atteindre l’autre dans son intimité. Contrairement à ce que le titre laisse croire, Un amour pas comme les autres est surtout un condensé de solitude et d’espoirs avortés où chaque personnage semble se répéter inlassablement qu’il ne vit pas tout à fait ce dont il avait rêvé.