Pour son second-long métrage de fiction, John Schlesinger prend pour décor une morne petite ville anglaise, comme dans Un amour pas comme les autres. Seulement, la classe moyenne a ici remplacé les ouvriers et la norme sociale se veut moins implacable pour tout ce qui concerne la marge. Restent le portrait enlevé d’un rêveur inadapté et une mélancolie diffuse qui rend ce Billy le menteur bien moins léger qu’on ne le croit.
Se rêver différent de ce que l’on est réellement, ne pas trouver sa vraie place parmi son entourage le plus proche : ces sujets font l’objet d’un leitmotiv qui parcourt inlassablement les premiers films de John Schlesinger. Un amour pas comme les autres, réalisé un an plus tôt, désacralisait le modèle familial traditionnel pour en isoler chaque composante tandis que Darling, sorti en 1965, était le portrait un peu cruel d’une jeune parvenue se rêvant princesse avant de prendre violemment conscience de la vacuité de son monde. Cette défiance pour les conventions, John Schlesinger l’hérite probablement d’une homosexualité qu’il a toujours assumée, au point de devenir l’un des premiers cinéastes à aborder frontalement le sujet dans Macadam Cowboy (1969) et Un dimanche comme les autres (1971). Son Billy le menteur, sorti en 1962, en tire probablement sa substance en s’affichant comme le portrait d’un inadapté aux désirs contradictoires. Totalement immature, il se se rêve continuellement ailleurs, au point de se fourvoyer dans toutes sortes de mensonges de plus en plus compliqués à gérer.
Pour autant, nulle lourdeur ou complaisance dans ce qui, sur le papier, a des accents de portrait psychologique un peu démonstratif. La raison principale tient du fait que John Schlesinger, sans être un metteur en scène révolutionnaire, a eu pendant près de deux décennies le goût d’une certaine expérimentation formelle, même si aujourd’hui tout cela peut sembler un peu daté et susciter un enthousiasme modéré. Ici, le parti-pris est clair : épouser l’imagination débordante de Billy qui, dès qu’il doit faire face à une contrariété ou une responsabilité (ce qui s’équivaut pour lui), fuit droit devant en s’imaginant toutes sortes de personnages fantasques dans des situations totalement incongrues. Sans atteindre l’ironie mordante d’un Noblesse oblige, le réalisateur sait pourtant jouer du contraste qui oppose ces ruptures de ton à une photographie sobre qui renvoie à l’austérité de cette ville de province anglaise. Progressivement, la farce s’effrite pour laisser place à une anxiété plus complexe : celle de prendre le pari de devenir enfin celui qu’on a toujours prétendu être. Se réinventer, changer d’identité, s’affranchir de tout atavisme, c’est le défi récurrent des personnages de John Schlesinger.
C’est probablement cette tristesse et cette langueur qui apportent à Billy le menteur ses plus beaux moments. La rencontre avec la belle Liz (Julie Christie, toute en nuances et en mélancolie) pourrait signifier que la vraie vie frappe enfin à la porte du mythomane, à moins que la jeune femme ne soit également dans une autre forme de fuite. Dans son étrange conclusion, ambiguë au point de mêler ouverture et résignation, le film parle surtout d’une incommunicabilité entre les êtres, de désirs qui vont à contre-courant du mouvement général. C’est dans ce geste que le réalisateur parvient à trouver le ton le plus juste : il donne de la hauteur à ce personnage dont la malséance se confond trop souvent à de l’immaturité et réussit à faire de Billy le menteur un film ample capable finalement de respirer. Film un peu bancal mais attachant, c’est dans le déséquilibre que le propos trouve manifestement sa plus belle consistance.