Il y a trois ans, Destricted se proposait de dresser des ponts entre pornographie, cinéma et art contemporain. À de rares et brillantes exceptions près (Larry Clark, Marco Brambilla), le résultat était peu concluant, souvent vaseux. Dirty Diaries ajoute à une ambition comparable – dans des formes toutefois plus modestes et underground – une dimension féministe et féminine : tous les courts compilés ici sont réalisés par des femmes. On peut questionner ce choix relevant d’une approche sexiste du féminisme, regretter un certain manque de simplicité face à la chose sexuelle (comme si le porno devait être sauvé de lui-même par une caution arty) et constater une fatale inégalité des sketches. Reste un projet plutôt stimulant, proposant des représentations salutairement variées de la sexualité.
Parmi les enjeux clairement « féministes » qui traversent le projet, il y a la question : que faire avec l’homme ?
Deux des films proposent comme réponse un pur et simple renversement de la domination masculine par une réappropriation de l’homme comme objet. Mais de ce qu’il faut bien appeler une vengeance, les deux films tirent deux propositions complètement différentes. Il est évident qu’à partir d’une même « idée », le cinéma peut, par son traitement, produire de multiples inflexions. Boulevard de la mort donnait de cette vengeance une version fondée sur le duo rage/jouissance ; toute la différence se joue ici entre malice et mesquinerie.
Dans Dildoman, réjouissant film d’animation où un homme est soudain utilisé comme godemiché pour offrir du plaisir à une femme géante – donc très concrètement transformé en simple objet –, l’intérêt naît à la fois de la forme poétisée et presque ritualisée de ce renversement (c’est-à-dire sa mise à distance), du contexte dans lequel il se joue (une boîte de striptease, où les femmes sont au service du désir des hommes) et de l’humour généreux qui le caractérise en fin de compte (cette femme mérite bien le plaisir immense qui lui est ainsi procuré).
À l’opposé, le déplaisant Body Contact (cf. l’interview de la réalisatrice, qui s’explique sur ses intentions) voit une jeune femme filmée par son amie (compagne, colocataire ?) prendre contact avec un jeune homme sur un site de rencontres sexuelles et le mettre au pied du mur lorsqu’il arrive : leurs ébats, dont elle voudrait bien qu’ils commencent dans l’ascenseur en verre de l’immeuble, seront filmés. Pris au piège, l’homme s’avère par ailleurs ridicule au lit, la femme ne prenant visiblement aucun plaisir. Outre que l’utilisation faite ici de l’homme a finalement moins à voir avec un devenir-objet qu’avec une transformation généralisée des humains en produits zappables de consommation par internet et la téléréalité, il n’y a aucun plaisir. Ce pourrait évidemment être le propos du film, mais s’il gêne tant, c’est qu’il se montre totalement complice avec ses personnages féminins, ne mettant pas à distance ce qu’il y a de minable dans leur comportement. Dans la même veine de ce que l’époque actuelle produit de pire, Flasher Girl on Tour, sur une petite pimbêche superficielle, narcissique et arrogante en virée à Paris, s’avère le film le plus pénible de la sélection.
Mais revenons à nos moutons les hommes. For the Liberation of Men se pose, par son titre, comme une réponse claire à la question « Que faire avec eux ? » Réponse assez énigmatique, à vrai dire. Selon un problème récurrent de l’art contemporain, qui consiste à réduire la substance de l’œuvre à des enjeux, concepts ou visions opaques qui ne prennent sens qu’accompagnés d’une note d’intention, le film imprime quelques images étonnantes d’hommes en perruque mais reste assez obscur si l’on ignore que la réalisatrice a demandé à la plus vieille femme qu’elle connaît de lui raconter ses fantasmes, et finalement esquive l’enjeu de son titre (cf. aussi les propos de la réalisatrice en interview).
Tout un pan de Dirty Diaries verse dans cette tendance arty, avec plus ou moins de bonheur. Red Like Cherry est une tentative ratée – et en contradiction avec l’ambition même du projet – de film expérimental où l’érotisme ne naîtrait pas de l’explicite. Quelques analogies efficientes quoique pas révolutionnaires (un œil vu à la verticale a l’air d’un sexe féminin) ne le sauvent pas de l’inconsistance. Plus réussi, dans le même genre évocateur et pas très épais, est Fruit Cake, montage sensuel et coloré autour de l’anus comme organe partagé par tous, alpha et oméga d’une sexualité utopique où les frontières de genre seraient abolies. Conceptuel mais énergique et jubilatoire, On Your Back, Woman! montre quant à lui quelques couples de femmes se livrant à la lutte sur leur lit.
Uniquement disponible dans la future version DVD, Brown Cock prend le pari osé d’un seul gros plan sur un sexe féminin dans lequel viennent s’introduire un gode marron puis une main de femme noire. Plus que le discours postcolonial un peu bidon, intéresse ici la réappropriation et le questionnement sur la longueur du plan-type du porno industriel : le gros plan gynécologique. Soit la fragmentation du corps poussée à bout, pas tant pour dénoncer l’objectivation du corps que pour faire de ce sexe le sujet le plus vivant qui soit…
À une exception près (l’insignifiant Night Time), les films les plus convaincants sont finalement ceux qui se contentent de mettre en scène sans chichis deux personnes ayant un rapport sexuel. Dans Authority, une tagueuse berlinoise entraîne la policière qui l’a prise en flagrant délit dans une zone industrielle désaffectée vers d’amusants et brutaux ébats sado-maso. Dans Phone Fuck, deux filles font fi des centaines de kilomètres qui les séparent et établissent un contact affectif et physique au téléphone simplement bouleversant. Mais le clou du projet reste sans doute Skin, où la métaphore grosse comme un immeuble (deux corps recouverts d’une couche de tissu s’en débarrassent à mesure de leurs étreintes) se dissout dans une incarnation, une douceur, une sensualité et une matérialité (taches de fluides corporels, etc.) tout à fait magnifiques.
Comme quoi, le porno n’a pas besoin de s’acheter une dignité par un attirail formel et conceptuel excessif. Au fond, moins il donne dans la branlette esthétique, plus il a de chances d’accéder à un rang autre que celui de simple support masturbatoire…