Lorsqu’on évoque le western italien, dit « spaghetti », c’est immédiatement le nom de Sergio Leone qui vient à l’esprit. Sergio Corbucci, « l’autre Sergio », mérite pourtant, tout autant que le réalisateur de Pour une poignée de dollars, les honneurs du panthéon cinématographique. Certes moins immédiatement identifiable visuellement que Leone, Corbucci se distingue par le traitement de ses thématiques : libertaire convaincu, il a marqué l’univers du western par la violence, à la fois graphique et narrative, de son propos dans un cycle de westerns remarquables, inauguré par ce baroque Django en 1966.
La scène est hypnotique. Filmé de dos, un soldat en uniforme nordiste avance sous la pluie, dans la boue, traînant par une corde un cercueil. Lentement, péniblement, malgré la grandiloquence lyrique du thème musical composé par Luis Bacalov qui l’accompagne, il traîne son fardeau jusqu’aux collines qui cachent un horizon grisâtre. Avec cette introduction d’anthologie, Sergio Corbucci nous présente un personnage iconique, fantasmatique, pourvu d’un gimmick inédit et génial : un cercueil dans lequel est dissimulée une mitrailleuse. Mais le cinéaste ne se contente pas de ce seul personnage.
Réalisateur prolifique, Corbucci possède une filmographie étendue et éclectique, son genre de prédilection restant le péplum. C’est pourtant le western qui fera sa renommée. Entre 1966 et 1972, il va réaliser une série de films un peu oubliés par l’histoire, mais dont le succès fut, à l’époque, à la hauteur de ceux de Sergio Leone. Django est le premier de ceux-là : après, vinrent le sublime Grand Silence (1968), sans nul doute l’œuvre maîtresse de Corbucci réalisateur de western, El Mercenario la même année, l’idéaliste Companeros en 1969. En 1972, Far West Story peut être considéré comme le dernier grand western de Corbucci.
Django pose les bases de ce qui fera le prix de cette série de films. Le film peut, d’ailleurs, paraître un peu maladroit, notamment dans sa tentative d’évoquer le personnage interprété par Clint Eastwood dans Pour une poignée de dollars (1964) : ainsi, Franco Nero est-il manifestement habillé et filmé pour appuyer la ressemblance. Les deux films partagent également l’argument primaire : deux clans qui s’affrontent dans une petite ville, avec un intrus qui vient se placer au milieu, et qui exacerbe les tensions et précipite le chaos. Par la suite, et notamment dans Le Grand Silence et Companeros, les intentions de Corbucci se feront plus lisibles.
Il reste qu’elles sont parfaitement discernables dans Django : le nihilisme et le rapport très particulier à la violence de Corbucci y sont ainsi déjà bien présents. Particulièrement brutal, Django ne se contente pas de sa scène iconique, dans laquelle Franco Nero décime l’un des deux clans à l’aide de sa fameuse mitrailleuse. D’un côté, le clan américain organise des « chasses aux Mexicains » glaçantes, tandis que les Mexicains sont une bande de rustres brutaux, volontiers tortionnaires des quelques Blancs qui leur tombent dans les pattes pour leur malheur… Graphiquement, la violence mise en scène par Corbucci impressionne : le cinéaste ne fait en effet montre d’aucune pudeur, d’aucune timidité dans ces démonstrations de brutalité. Là se trouve le premier signe de l’anarchisme nihiliste de Corbucci : parfaitement conscient de la violence voulue par le cahier des charges du western, il va la pousser à son paroxysme. Selon Franco Nero, Corbucci voulait réaliser, avec Django, une « comédie froide » : on trouve la trace de cet humour vachard, sans empathie aucune vis-à-vis de ses personnages et de son auditoire, dans ce regard sur la violence – quitte à montrer la vilenie profonde de l’homme, autant le faire bien.
Aucun personnage ne va trouver grâce aux yeux du réalisateur : les Blancs, racistes furieux membres d’un pseudo-Ku Klux Klan, les Mexicains sadiques sans foi ni loi, les prostituées, au milieu, aussi promptes que les autres à la violence la plus imbécile… – même Django lui-même, homme meurtri au passé terrible, mais qui demeure un menteur vénal, violent et voleur ! À la fin, de toute façon, il reviendra à la chance et au destin de décider du devenir de chacun…
Avec ce déluge de violence, Corbucci pousse le genre du western dans ses derniers retranchements, et annonce La Horde sauvage de Sam Peckinpah, l’année suivante. Moins âprement nihiliste que Peckinpah, cependant, Corbucci aspire à un idéalisme, un héroïsme grandiose qu’il dessine en filigrane, et qui trouvera sa pleine expression dans les personnages du héros du Grand Silence et de Companeros. Dans ces deux films, Corbucci semble avoir bénéficié d’une liberté plus grande encore que sur Django, comme en témoigne la fin terrible du Grand Silence. Ici, cependant, le cinéaste semble sacrifier à la nécessité d’un happy end, certes tout relatif, mais où s’efface le réalisme boueux et barbare du reste du film. On y oublie alors les décors sales et suintants qui ont précédé, pour mettre le pied dans un cimetière sec et propret, et où le ciel se révèle sans ambiguïté être une toile peinte. Peut-être Corbucci veut-il nous placer, à ce moment, dans un idéal cinématographique plus proche du western policé des années 1950 à Hollywood, pour que l’on admette sans trop de problème le miracle qui permet au héros de triompher, alors qu’il a les mains brisées.
Conformément à son habitude, Sergio Corbucci semble avoir en grande partie improvisé le tournage de Django : pour autant, la fermeté avec laquelle il y introduit sa vision aussi pessimiste qu’idéaliste demeure intacte. Moins spectaculaire, moins immédiatement lisible que Sergio Leone, Corbucci n’en demeure pas moins un cinéaste de western majeur, pour l’univers duquel Django constitue une excellente porte d’entrée.