En 1969, Johnny Hallyday tenait le premier rôle dans Le Spécialiste de Sergio Corbucci, un western spaghetti emblématique réalisé par l’un des pionniers du genre.
Dans cette production de 1969, Johnny Hallyday incarne Hud, un cow-boy solitaire expert de la gâchette, qui arrive à Blackstone dans le Nevada, avec la ferme intention de venger la mort de son frère Charlie, lynché par les habitants de la petite ville suite au hold-up de la banque locale, dont il a caché le butin dans un endroit encore secret. Seul contre tous, Hud croisera également sur sa route la clique d’El Diablo, un révolutionnaire mexicain, qui l’aidera à retrouver le magot.
Le Spécialiste est un pur produit d’un genre considéré comme impur à l’époque, le western-spaghetti, ainsi nommé de façon péjorative par les Américains, qui voyaient d’un mauvais œil ces films tournés dans le désert espagnol d’Almeria ou dans la banlieue de Rome, et qui mêlaient selon eux un peu trop de fantaisie et d’excentricité à ce genre majeur et fondateur du cinéma américain qu’est le western. Mais on est dans les années 1960, et ce genre si respectable est en train petit à petit de tomber en désuétude. Parallèlement, en Europe, un autre genre s’essouffle : le péplum. Les producteurs transalpins vont alors chercher à donner une identité européenne au western, genre américain par excellence, voire par définition. Mais si certaines mauvaises langues n’y voient qu’une copie du modèle US, il paraît plus approprié de parler de réinterprétation. Exit le manichéisme propre aux productions hollywoodiennes : ici, les héros sont des desperados, des chasseurs de prime. Les films sont plus violents, et on y voit de la nudité, ainsi que le surgissement d’un discours politique. En 1964, Sergio Leone donne le ton avec Pour une poignée de dollars, remake libre du Yojimbo de Kurosawa.
Quant à Sergio Corbucci (un des « trois Sergio », avec Leone et Sollima), cet ancien assistant de Rossellini s’est attaqué à des genres divers tels que le film policier ou le peplum (on lui doit notamment Le Fils de Spartacus et Maciste contre les vampires), avant de réaliser en 1964 son premier western, Massacre au Grand Canyon (qu’il tourne en Yougoslavie), mais surtout Django en 1966, qui fut un vrai succès. Suivront Navajo Joe et Le Grand Silence, avec Klaus Kinski et Jean-Louis Trintignant dans le rôle d’un cow-boy muet. Sorti en 1969, Le Spécialiste fait partie des œuvres majeures du western-spaghetti, genre à part entière qui a alors gagné ses lettres de noblesse (Leone a tourné Il était une fois dans l’Ouest pour la Paramount l’année précédente).
Le ton y est effectivement plus trash que dans les productions hollywoodiennes : la violence y est froide (le shérif se prend une balle dans la tête, la banquière est victime d’un viol collectif) et en guise de nudité, c’est la ville entière qui se retrouve à poil dans la dernière scène. Par ailleurs, le titre original du film, Gli Specialisti, ne signifie pas « le spécialiste », mais « les spécialistes ». Ce sont donc les habitants de Blackstone que désigne le titre, eux les spécialistes en lynchage, et contre lesquels s’élève Corbucci, lui qui aimait voir ses films comme autant de « fables prolétaires avec les gentils à gauche, et les méchants à droite ».
Certes, Corbucci n’est pas Leone, et Le Spécialiste n’atteint jamais les sommets et la grâce d’Il était une fois dans l’Ouest. Mais l’ambition n’est pas la même non plus. Corbucci voit moins grand que son compatriote, et lorgne moins du côté de l’opéra que de celui de la pop. Ce ne sont pas les orchestres à cordes dirigés par Morricone qu’on entend ici, mais des guitares et des orgues électriques saturées sur fond de section rythmique basse-batterie, le tout sous la direction d’Angelo Francesco Lavagnino, l’homme aux 200 bandes originales. Film pop par excellence, on ne sera qu’à moitié surpris d’y retrouver notre Johnny national.
À l’époque, le jeune chanteur n’en est pas à son coup d’essai au cinéma, et souhaite franchir une étape dans sa carrière de comédien en incarnant un rôle de dur à cuire, loin de ceux qu’il a pu tenir dans des films yé-yé comme D’où viens-tu, Johnny ? où il ne faisait que jouer son rôle de chanteur. L’idole des jeunes fait donc savoir à Corbucci qu’il aimerait tourner sous sa direction. Le réalisateur italien, conscient de ce que la notoriété du chanteur à succès peut apporter à son film, et ce notamment auprès du public français, lui offre donc le rôle de Hud, un cow-boy taciturne. Johnny n’est par ailleurs pas le seul Français engagé. À côté de lui, on retrouve Françoise Fabian, la jeune Sylvie Fennec, et Serge Marquand. Mais outre une démarche de sensibilisation pour ouvrir le public français au western-spaghetti, Corbucci a probablement vu dans Johnny une figure proche de ses propres positions politiques. Après tout, on est en plein summer of love, et chanter « Cheveux longs, idées courtes » n’a rien d’innocent. Corbucci partage avec Johnny ce même mépris pour les hippies, bien visible dans le film, puisque la scène finale va opposer notre héros à quatre jeunes aux allures de hippies (chose assez déconcertante dans le cadre d’un western, on en conviendra). Rien à voir ici avec l’image proprette d’un Ricky Nelson dans Rio Bravo, c’est son background de rocker qui sert Johnny à construire son personnage de cow-boy au long manteau, le manteau en question, à l’instar des blousons en cuir de l’époque, étant bien évidemment noir.
Le DVD édité par MK2 présente le film dans sa version française, auquel viennent s’ajouter une introduction de 5 minutes par Philippe Lombard, ainsi qu’une interview d’Olivier Père de 14 minutes, toutes deux fort instructives. Par ailleurs, une rencontre avec le dessinateur Jean-Claude Morchoisne permet d’évoquer l’âge d’or du magazine Pilote, qui publiait dans ses pages des parodies des films de l’époque.