Yvan Attal aux commandes du remake français d’un petit film indé américain : pourquoi pas ? Surtout quand le film en question, le passable Humpday, raconte l’histoire plutôt gonflée de deux vieux potes hétéros qui décident, sous le coup d’un pari stupide, de coucher ensemble pour les besoins d’un festival de porno amateur. Problème : la version d’Attal s’avère encore plus faux-cul que l’originale.
Lost in transgression
Il y a trois ans, Humpday émoustillait gentiment la Quinzaine des Réalisateurs en posant la question suivante : «Avez-vous déjà essayé votre meilleur ami ?» Labellisée Sundance, la petite comédie pseudo-érotique de Lynn Shelton, tournée avec un budget riquiqui, jouait la provoc en mettant en scène deux mecs hétéros, amis de longue date, bien décidés à coucher ensemble devant une caméra amateur. Le film, pas inintéressant dans sa façon originale de mettre en scène le désir de transgression comme dernier lien avec une jeunesse perdue, se perdait dans un interminable climax faiblard, inévitablement lâche et donc décevant. Malgré ses comédiens sympathiques et son emballage foutraque mais cohérent avec son sujet, on avait rangé Humpday dans la catégorie des films-concepts aussitôt vus, aussitôt oubliés.
Pour sûr, on ne s’attendait pas à ce que notre Yvan Attal national vienne nous rafraîchir la mémoire. Réalisateur inoffensif, plaisant mais oubliable, Attal n’en est pas moins un comédien souvent brillant et une personnalité insaisissable dont on attend en permanence un coup d’éclat, qu’il semble nous refuser avec une certaine malice. Travaillé par la question du couple, de l’engagement et de la fidélité, qu’il a volontairement mis en scène à l’écran comme soigneusement préservé à la ville, Yvan Attal se joue plutôt bien de l’attente et de la frustration que sa relation avec sa compagne Charlotte Gainsbourg suscite auprès du grand public.
Welcome to Beaufland
En s’attaquant à un remake de Humpday, Attal déplace le curseur : le couple au centre du film est moins celui qu’il forme avec sa femme (jouée ici par Laetitia Casta) que celui qu’il a autrefois incarné avec son meilleur ami, Jeff (François Cluzet en mode routard cool), qu’il retrouve après plusieurs années. Ben, le personnage incarné par Attal, a vieilli : chouette maison, jolie femme, projet d’avenir (faire un enfant)… Jeff, malgré les rides, est resté le même : un peu beauf, un peu con, un peu grande gueule. Entrainé par Jeff dans une soirée vaguement underground chez un couple gay arty (Asia Argento et Charlotte Gainsbourg en lesbiennes branchées pour magazine de mode), Ben se découvre une seconde jeunesse, plonge les yeux fermés dans la nostalgie de ses vingt ans aux Beaux-Arts et accepte ce qui lui semble être la performance artistique ultime : baiser son meilleur pote pour un festival de porno amateur américain, Hump.
L’incursion dans le milieu des oiseaux de nuit parisiens se vautre dans une caricature digne des meilleurs reportages de NT1 et révèle d’emblée l’intention du réalisateur : tirer sur tout ce qui bouge, avec la volonté de ne prendre parti ni pour la vacuité de Jeff, post-ado mal dégrossi qui n’a jamais assumé la moindre responsabilité, ni pour l’embourgeoisement standard de Ben, dont la frustration explose tardivement à la gueule de son épouse passablement agacée, mais patiente. Personnage intéressant dans Humpday, la femme de Ben est ici présentée comme une hystérique obsédée par sa future grossesse, avant de se transformer en ange philosophe qui regarde, avec un mélange de compassion et de colère, son mari sombrer dans une crise que rien ne semble pouvoir arrêter. Mais Attal est incapable de donner corps aux atermoiements des uns ou des autres : tout sonne faux et creux, le film se résumant à une succession de gesticulations grotesques qui évacuent toute possibilité d’identification. Si le réalisateur s’intéresse un peu plus que Lynn Shelton à une possible attirance sexuelle inavouée entre ses deux protagonistes, il n’en tire rien. La scène tant attendue entre les deux hommes joue la même partition comico-beauf des hétéros qui jouent à se faire peur en se roulant une pelle dans une chambre d’hôtel glauque, pourtant le résultat fait encore plus peine à voir que dans l’original. Est-ce que parce qu’ici, le visage connu des deux comédiens rend la démarche plus commerciale, et donc plus hypocrite, plus cynique ? Ou est-ce le regard porté par une femme qui fait ici défaut ? Il manque à Do Not Disturb la tendresse avisée de la réalisatrice de Humpday, qui rendait les héros un minimum attachants à défaut d’être passionnants, et faisait du personnage de l’épouse un rempart à la fois protecteur et aliénant contre la quête impossible et futile des deux amis. Attal ne filme que des figures désarticulées qui se voudraient héritières modernes de Truffaut (Jules et Jim revisités), mais évoquent plus la tradition comico-franchouillarde d’un cinéma populaire français exsangue. Les Américains n’ont donc plus le monopole du remake de mauvais goût…