Ce qu’Yvan Attal s’acharne à édifier dans la première partie des Choses Humaines relève de l’impossible, mais nous ne le comprendrons qu’a posteriori. Quand Alexandre Farel (Ben Attal), rejeton de la jeunesse dorée parisienne exilé dans une prestigieuse université américaine revient dans son fief, il fait face à l’abandon de ses proches. Ni son père (Pierre Arditi), célèbre journaliste de télévision obnubilé par sa future décoration républicaine et par une stagiaire de cinquante ans de moins que lui, ni sa mère (Charlotte Gainsbourg), essayiste affairée à défendre des idées douteuses sur les migrants et le viol, ne sont en mesure de lui porter l’attention qu’il attend. Le milieu aussi privilégié que vicié dont est originaire le jeune homme, entre un père puissant à la virilité malade et une mère qui se montre aimante mais a déserté le foyer, sera bientôt brandi comme circonstance atténuante pour le jeune Alexandre, accusé de viol. Il faut reconnaître au film un certain entrain dans sa manière de dépeindre la suffisance et la vacuité de cette caste médiatico-politique parisienne, dont la vulgarité affichée – l’obsession pour les dialogues crus, la sexualité violente – renvoie à une forme de dépravation. Le ver est dans le fruit : dépeignant une filiation rongée jusqu’à l’os par l’autocomplaisance et l’obsession pour les conquêtes féminines – un travelling truqué prolonge le reflet du père en plein ébat avec sa jeune stagiaire dans celui de son fils se rapprochant de la jeune Mila (Suzanne Jouannet), la future accusatrice – Yvan Attal laisse aussi entendre que le couperet ne tombe pas forcément au bon endroit.
À son meilleur – la première partie, intitulée « Lui » – le film parvient à instiller un certain trouble, renvoyant le spectateur à ses propres biais de perception : Alexandre et tout son monde paraissent si détestables que l’envie irrémédiable de les voir coupables et condamnés ne manque pas de survenir. Qu’Yvan Attal choisisse pour incarner l’accusé et sa mère son propre fils et sa compagne n’est pas anodin. En confiant ces rôles à ses proches, le cinéaste ne manque pas d’établir un lien affectif particulier avec ceux qui vont être portés au pilori, et de fait le film s’attarde davantage sur le récit de la défense que sur celui de la prétendue victime — l’ombre de la calomnie et de la fausse dénonciation (dont on pourrait suspecter la stagiaire puis Mila) apparaît d’ailleurs comme une menace plus pesante que celle des comportements abusifs des hommes. En creux c’est donc une critique des jugements populaires et médiatiques qui se dessine, à peine masquée derrière un propos assez timoré sur le consentement. Le programme échafaudé par le film rappelle à ce sujet le récent Dernier Duel. À la suite d’Hollywood, le cinéma français sort ainsi l’artillerie lourde (Attal, Arditi, Gainsbourg, Kassovitz) pour investir la question du viol avec didactisme et beaucoup de pincettes : le scénario déplie son cas d’agression sexuelle dans un exposé qui confronte les points de vue (lui, elle, le procès) tendant à faire la démonstration de l’absence de vérité absolue. Et si le film de Ridley Scott se noyait finalement dans une dernière partie trop soulignée (littéralement, dans le carton annonçant le troisième segment), Les Choses Humaines ne se montre pas plus convaincant dans l’exercice d’équilibriste qu’il entreprend (le film ne prend pas parti) et débouche sur une leçon donnée au spectateur des plus pontifiantes.
La parole est à la défense
C’est peu dire qu’une impression étrange demeure à la fin du dernier (et très long) acte du film : le procès d’Alexandre. Le scénario – par un jeu d’ellipse comme un tour de magie – aplanit au préalable toute conflictualité entre les personnages secondaires : la mère d’Alexandre et le père de Mila sont prêts à renouer, le père d’Alexandre s’est assagi (et la stagiaire s’est muée en parfaite épouse…). Dans un cadre gris et neutre et une mise en scène reposant sur des longs plans donnant la part belle aux tirades de chacun, Yvan Attal semble moins se soucier de la finalité dramatique de son récit, et de ce qui advient de ses personnages, que de l’énoncé d’un sous-texte dépassant le cadre du film qui appelle à l’apaisement. « Je me lève et je ne me casse pas » dit l’avocate de Mila ; « on ne va pas aux assises pour avoir lu du Georges Bataille » pondère celui d’Alexandre, cancellant la cancel culture. La lourdeur de ce discours achève de plomber le film dans un long plan-séquence final qui donne la parole à chacun, et se conclut par le plaidoyer de la défense. Rompant l’équilibre que semblait vouloir installer la mise en scène entre les arguments des différentes parties, le mouvement de l’image s’arrête sur un regard caméra de l’avocat de la défense. Droit dans les yeux, il s’adresse au spectateur mis dans la position d’un juré : saurez-vous être juste ?