Le pire de Sundance, c’est encore et toujours ça : le film-concept tourné avec le caméscope de papa et vendu à l’international par des génies du marketing rompus à la phrase choc. Ici, la question « Avez-vous déjà essayé votre meilleur ami ?» ratisse large : les gays, les filles et les mecs hétéros, tous potentiellement émoustillés par le fantasme – plus ou moins avouable selon son orientation – de l’hétérosexualité triomphante se laissant aller pour une nuit à la théorie selon laquelle il serait bien dommage de mourir idiot.
À vrai dire, l’idée est forcément séduisante : une comédie qui raconte l’histoire de deux potes qui décident, suite à un pari stupide, de coucher ensemble devant une caméra pour les besoins d’un porno amateur (dans le cadre d’un festival de San Francisco nommé Humpfest, qui existe bel et bien), ça pique la curiosité. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, Humpday a semble-t-il séduit les festivaliers, probablement en quête de légèreté après un Haneke, un Mendoza et un Von Trier ; et le ton choisi par la réalisatrice Lynn Shelton semble effectivement, dans les premières scènes du film, être le bon. Malgré l’image cradingue et l’écriture faussement désinvolte, Humpday prend le temps d’installer ses trois personnages (les deux héros et la femme de l’un d’entre eux), qui se révèlent plus complexes qu’il n’y paraît. Ben est un bon bougre empâté par son mariage heureux avec Anna ; un peu beauf, un peu bobo, il a la mine du type constamment réjoui à qui la vie n’a jamais posé beaucoup de soucis. Lorsque son vieil ami Andrew sonne à la porte, c’est comme si les années 1990 faisaient un come-back inopiné dans son salon : grande gueule, dragueur, charismatique, Andrew fait l’effet d’une madeleine à Ben – on peut parier que si elle avait eu les droits, Lynn Shelton aurait compilé Nirvana, REM et Spin Doctors sur sa bande-son.
Nos deux compères parlent beaucoup, et fort. Humpday est un film qui donne un peu mal à la tête : pour montrer que ses deux personnages sont encore des grands gamins, la réalisatrice les montre souvent en train de crier comme deux ados attardés. Pourtant, il y a dans l’enthousiasme surjoué de leurs retrouvailles une vraie mélancolie : à force de sourire en permanence et de se taper sur l’épaule, Ben et Andrew trahissent une vraie gêne, celle que l’on peut éprouver face à un ami qui a beaucoup compté mais que l’on n’a pas revu depuis très longtemps. Le joli personnage d’Anna, forcément plus en retrait mais pas moins intéressant, donne corps à ce qui s’est interposé entre les deux gars et l’âge adulte : elle est, bien malgré elle, le temps qui passe et qui a rangé les vieux CD de Nirvana au fond d’un placard.
Ainsi, le pari stupide que décident de relever Andrew et Ben lors d’une soirée arrosée au milieu de lesbiennes et gays arty de la côte ouest relève moins d’un véritable désir (fût-il de l’ordre purement sexuel, ou du seul besoin de transgression) que de l’envie de neutraliser ce corps qui s’est interposé entre eux deux et leur jeunesse passée. L’idée est belle et aurait pu donner naissance à un fort joli film mais hélas, Lynn Shelton s’avère bien incapable d’en faire quoi que ce soit. Avec sa caméra tremblotante, elle s’attache essentiellement à filmer des quiproquos de boulevard et autres copieuses prises de bec qui évoquent moins une comédie existentielle taillée pour le grand écran qu’une sitcom bâclée rediffusée sur la TNT. Lorsque la fameuse dernière scène arrive, on a déjà perdu tout espoir, peu importe l’issue : qu’ils se pelotent ou pas, Andrew et Ben ont cessé d’être des corps de cinéma depuis une bonne heure. C’est bien dommage car, sans en révéler les secrets, la fin du film renoue par endroits avec la douce mélancolie, mâtinée de regrets, qui habitait les regards des deux héros dans les premières scènes. L’inévitable impression de pétard mouillé, lorsque défile le générique de fin, ne rend que plus cruel ce ratage dans les grandes largeurs.