Chez Kourtrajmé, on dirait que certains ont fini de rigoler. De ce collectif de fils de bourgeois singeant depuis quelques années un cinéma amateur mais virtuose, indépendant mais bien parrainé, hip-hop, « déconneur » et inventif, notre plus récent souvenir est l’esclandre créé en 2008 par l’un d’eux, Romain Gavras, qui avait récupéré l’épouvantail de la violence des banlieues pour vendre bruyamment un clip du tandem Justice. On n’est donc pas si étonné de le retrouver réalisateur de seconde équipe du nouveau long métrage de son camarade Kim Chapiron, lequel a semble-t-il cessé de jongler entre délire potache et violence premier degré – l’hybridation douteuse de son précédent Sheitan – pour se lancer, avec ce film ayant pour cadre une prison pour mineurs et s’inspirant du précédent et sulfureux Scum réalisé par Alan Clarke en 1979, dans le cinéma-sérieux-qui-dérange (et qui parle anglais, en plus : c’est le début de la gloire, le producteur est aussi celui des films de Michel Gondry).
S’il n’est pas sûr que les deux lascars, une fois lancés sur le marché du long métrage, reviennent au type de court qui les a lancés, leurs débuts n’en ont pas moins laissé des traces – en tout cas chez Chapiron – notamment sur la conception très « gadget » du monde et de la mise en scène. Sheitan, déjà, était plombé – entre autres boulets – par la batterie d’effets de réalisation, de focales et d’angles qui, appuyés sur la marque Kourtrajmé en vigueur et le scénario foutraque et transgressif, braillaient à chaque plan le message « on est jeune, on est cool, on filme comme ça nous chante quitte à faire n’importe quoi, et on emmerde le monde ». Dog Pound n’est pas aussi criant d’arrogance narcissique ayant sa « coolitude » narrative pour seul sujet, mais Chapiron ne résiste pas au petit plaisir de brasser l’air de sa caméra autour de la vie carcérale comme si elle en avait besoin, de zoomer par ci, de trembler par là, d’aligner les trucs de cinéaste remuant en ne transmettant rien d’autre qu’un remuement masturbatoire, tel un émule de Kassovitz (lequel est un des parrains de Kourtrajmé). C’est qu’au fond, le jeune réalisateur est plutôt content d’être là, face à un matériau qui de toute évidence le fascine, que ce soit du côté des gardiens et de leur façade d’autorité (voir la scène d’accueil des détenus, et sa batterie de gros plans sur le gardien-chef), ou de celui des prisonniers et de leur loi de la jungle. Chapiron a une approche bien ambivalente de la prison qu’il prétend filmer : sur le fond, elle ne l’intéresse que par la violence bestiale qui peut y éclater, et qui renvoie à tous les films d’exploitation qui furent un jour plantés derrière les barreaux ; néanmoins, pour le grand frisson réaliste, il a insisté sur la crédibilité des décors et surtout, tourné avec de « vrais de vrais » jeunes délinquants.
Passages obligés et sans prémâché
Dog Pound se résume à ce double langage : un film de prison jouant à être un film sur la prison, pur produit d’exploitation se trouvant sérieux et pertinent dans sa façon d’impressionner la galerie, mais n’ayant finalement rien à nous dire, du système carcéral ou de ses effets sur les adolescents, que la jouissance que lui-même en tire à travers les images préconçues qu’il en garde. Or à force d’annoncer par avance (et d’insister sur) la brutalité des faits divers carcéraux transformés depuis longtemps en clichés de genre, le programme du film devient vite terriblement prévisible. Le spectateur peut facilement s’amuser à anticiper toutes les péripéties qui seront alignées sous ses yeux : les diverses vexations entre détenus ou de la part des gardiens, dont l’uniforme et le statut de représentant de l’ordre ne font que camoufler l’ordre primaire qui règne ; l’inévitable sodomie du prisonnier le plus faible dans sa chambre, sous la douche ou dans la buanderie ; quelques pistes vers les discours les plus convenus sur l’homme qui est un loup pour l’homme, sur le choix nécessaire – paraît-il – entre être une victime et être un bourreau ; etc. Toutes ces composantes-là finiront fatalement par répondre présent, à un moment ou à un autre, et aucune vision d’auteur ne saura leur faire dire autre chose que leur état de passage obligé et leur sens prémâché. Dog Pound rajoute même une louche de moralisme à trois francs : la victime du viol sera précisément celui qui aura jusque-là caché sa fragilité en vantant sa virilité et en racontant des histoires salaces. Alors, Chapiron peut bien rendre tout cela aussi réaliste et brutal qu’il veut, se raccrocher à un fil de récit en créant un personnage de prisonnier à la marge entre chute et rédemption – Butch – au destin duquel on peut s’intéresser, mettre en place une grosse scène de chaos général, conclure sur une note de désenchantement ponctuée par un effet final digne d’un film d’horreur. Son film, au fond plus bête que méchant (ce qui le distingue de l’épouvantable Picco), n’en demeure pas moins un exercice de complaisance et de frime hypocritement camouflé – ce qui, d’une certaine façon, est moins défendable que le plus graveleux des avatars de Prison pour femmes qui ont au moins le mérite de ne pas se mentir. Pas le genre d’entreprise dont le cinéma a besoin.