Qu’est-ce que le « sentiment politique » ? Quelle est sa place dans nos vies ? Pendant une heure trente, Doutes, premier film de Yamini Lilia Kumar, ambitionne de mêler la question du politique au sentiment d’errance d’une gauche désabusée. Pour un drôle de résultat.
Depuis quelque temps, le cinéma français se découvre une passion nouvelle pour la fiction politique, entre réflexions sur l’exercice du pouvoir (L’Exercice de l’État, Pierre Schoeller) et récits inspirés de figures étatiques (La Conquête, ou le nouveau film de Bertrand Tavernier, Quai d’Orsay). Ce n’est toutefois pas tant la question à proprement parler de « la politique » qui irrigue cette tendance de la production français qu’un attrait marqué pour l’activité, privée et publique, des responsables du pays. Que l’homme politique soit désacralisé sur le mode de la farce (La Conquête) ou fantasmé comme héros tragique (L’Exercice de l’État), que son portrait prenne en charge ou non le contexte actuel de la vie politique française, c’est la fascination pour l’homme de pouvoir, et tous les fantasmes autour de la fonction, qui nourrissent le cœur de la dramaturgie. Doutes, plutôt que de mettre en scène les intrigues de l’état, s’intéresse précisément aux effets du magnétisme exercé par la vie politique. S’il n’est guère le film tant espéré capable d’infuser un semblant de distanciation à cette attraction pour le motif du pouvoir, ce premier long emprunte au moins un sentier légèrement différent, en déracinant le thème de la fascination des centres décisionnels.
Yamini Lilia Kumar s’engage ainsi à décrypter cette notion a priori abstraite de « sentiment politique » – en somme notre rapport, plus ou moins intime, à la chose publique – par les parcours croisés de deux couples, amis de longue date, des prémisses de la primaire PS en 2006 à l’élection de François Hollande en 2012. La vie politique n’est dès lors plus scrutée par le prisme des instances dirigeantes, mais par le biais d’une élite intermédiaire, bourgeoise et de gauche, constituée de journalistes, sondeurs, artistes et intellectuels – quatre factions pour quatre archétypes en guise de personnages.
La voie tracée accouche d’un film pour le moins ingrat, suite de longs tunnels dialogués et de tirades mises en boîte où les protagonistes ne cessent de disserter sur l’objet de leur passion. Au fond, le « sentiment politique » promis par le titre ne correspond finalement qu’à une fièvre obsessionnelle, et non un véritable émoi intime. Si l’obsession a sa part de dérisoire (les personnages sont persuadés qu’il s’agit là de la plus importante des choses), Yamini Lilia Kumar ne remet jamais sérieusement en cause cette marotte pour le pouvoir. Faute d’un point de vue tant soit peu critique, la cinéaste réduit le champ de son exploration à un petit théâtre replié sur lui-même, dont les protagonistes, enfermés chez eux, ne cessent paradoxalement de pérorer sur le reste du monde. Les champs-contrechamps s’enchaînent, avec fadeur, au gré des névroses bourgeoises de chacun, sans aucune variation de mise en scène, ou même de structure narrative. À ce dispositif rébarbatif s’ajoute néanmoins une « trouvaille », singulière à défaut d’être subtile : afin de signifier à l’écran le doute qui travaille constamment ses personnages, la réalisatrice anarchise le recours aux focales – l’effet est hideux –, pour flouter aléatoirement les visages et les arrière-plans.
Doutes pourrait ainsi n’être qu’un pénible pensum s’il ne dévoilait pas une inattendue veine humoristique, manifestement involontaire, et pourtant réjouissante. Christophe Barbier en sondeur cynique – merveilleusement mauvais –, opposé à un Benjamin Biolay dépressif (pour changer), confère heureusement un parfum de n’importe quoi à cette choucroute psychologique dont le sérieux plombant est désamorcé par la force du ridicule. En dépit des rebondissements abracadabrantesques (une histoire absconse de tromperie tressée à l’affaire DSK), ce n’est cependant qu’à la fin du film, et de son improbable épilogue-vidéoclip vénitien, que le versant bouffon prend le pas sur le reste. Ne reste finalement qu’une drôle de comédie accidentelle, au casting incongru.