Quand nous avions découvert Early Winter à la Mostra de Venise 2015, nous nous étions laissés mettre en avant ses qualités, les accents les plus subtils de sa façon de mettre en scène un couple en crise, en somme quelques traits qui, à nos yeux d’alors, surmontaient les ficelles scénaristiques un peu envahissantes qui faisaient avancer le récit. En tout cas, le film de Michael Rowe (réalisateur australien vivant au Mexique, tournant ici… au Canada) se montrait facilement plus satisfaisant que nombre de films de cette très décevante édition. Cependant, à le revoir hors de tout contexte festivalier, on se surprend, comme au moment d’un atterrissage brutal après un élan un peu rapide, à éprouver avec gêne les coutures d’un film dont la tenue en dépend un peu trop et qui ne les surmonte pas si vaillamment que cela.
En fait de récit de crise conjugale, Early Winter le conte plus précisément du point de vue exclusif du mari, David (joué par l’impeccable Paul Doucet), lequel semble traîner un certain nombre de problèmes révélés au compte-gouttes qui affectent non seulement son comportement, mais son regard même sur sa vie de famille (marié, deux enfants) et sur son épouse Maya (Suzanne Clément, qu’on connaît pour ses collaborations avec Xavier Dolan). Hors de tout contexte scénaristique, c’est le portrait subtil de cet homme étranger aux siens, mal à l’aise dans le rôle que lui attribuent les apparences du mariage et de la famille, que Rowe réussit le mieux dans ce film, captant l’inadéquation du personnage dans le cadre (où il se trouve plusieurs fois décapité), la hantise qui traverse discrètement son visage, sa façon de se chercher des refuges dans le travail ou dans son garage. Mais parfois, le metteur en scène en fait un peu trop, par exemple quant à la longueur des silences dans lesquels chacun (surtout David) se mure, nous laissant pressentir que toutes ces attitudes relèvent d’une certaine pose, d’une préparation habile de conteur autant que d’une image crédible de crise, nous rappelant surtout qu’il y a dans les parages de ce fascinant portrait quelque chose de moins intrigant : un scénario qui ne demande qu’à dérouler avec minutie ses ellipses à combler, ses révélations et sa résolution dramatique.
Suspecte étrangeté
Scène après scène, Early Winter intrigue autant qu’il rend méfiant, tant il est difficile de déterminer si les zones d’ombre et l’étrangeté qu’il distille relèvent du témoignage sincère d’un état proche du réel, ou d’un usage d’artifices pour entretenir un mystère d’intérêt purement dramatique. D’autres petits artifices finissent par irriter les sens, comme cet accent russe affecté par Suzanne Clément dans son rôle de femme dont l’éloignement de ses racines déteint sur ses relations avec son tourmenté de mari. À l’acmé du film, où une dernière (et pesante) révélation est délivrée pour atteindre le mélodrame, on surprend même la mise en scène à tricher un peu avec son parti pris initial de rester rivé au point de vue de David, montrant par les yeux de Maya ce que lui (mais pas nous) a vu quelques secondes plus tôt, ménageant un moment de suspense plutôt dispensable pour appuyer sa justification de l’état de David. Et Early Winter de se conclure dans un long et pathétique moment d’attente où l’on se demande – un comble – s’il faut se laisser toucher par l’émotion qui se débat pour poindre ou se récrier contre un coup de force exagérément visible. On aimerait ne voir dans ce film que l’intrigant portrait d’homme, la juste description du soupçon et de l’assèchement dans le couple, loin de toute hypothèse d’affectation et d’arrière-pensée calculatrice de ses effets.