Bruno et Daniela se retrouvent dans une chambre d’hôtel quelques heures après avoir fait connaissance. Dans le lit, entre assoupissements, instants amoureux, disputes ou chamailleries, se dénouent les espoirs et les angoisses des deux amants. Un film tourné en huis clos, qui concentre son énergie dans la mise en scène du face-à-face, et enfonce son regard dans les pores du désir et de la solitude.
Une surface impalpable, floue – l’œil sans prise, un instant décontenancé. La mise au point se fait, le champ de la caméra s’ouvre et dessine quelques lignes encore abstraites, mais déjà mouvantes. De la peau, des cuisses qui avancent l’une en l’autre. La bande son éclaircit la vision. Bruno et Daniela, dans l’étreinte. Hiroshima mon amour s’impose comme une référence, rien de plus. Chez Resnais, l’intimité se creuse dans les souterrains de la mémoire, s’invente une mélodie qui tente de s’accorder à la musique de la grande Histoire. Chez Matías Bize, cinéphile avéré annoncé comme l’étoile montante du cinéma chilien, l’amour charnel s’ouvre et se ferme dans le même élan. Le huis clos enserre les personnages dans leur intimité ; le corps à corps se contracte, se déploie en énergie, se caractérise en face-à-face. Tout est retenu, tracé dans le fer du scénario : la singularité du propos tient dans cette intention de mise en scène forte et appliquée.
Dans l’intimité du lit, Bruno et Daniela apprennent à se connaître, à s’aimer, à s’attendre ou à s’en vouloir. Mais comprennent surtout que pour grandir, il faut se reconnaître. Le film devient une forme de radiographie de la sexualité, une surface représentée qui serait de la matière d’un dessin abstrait, mais à laquelle il manquerait un peu de cette profondeur énigmatique qui excite l’imagination. En la Cama est un portrait, nous regrettons qu’il ne soit pas un visage, une ligne ombrée derrière laquelle se devineraient les mystères de l’intimité. Le traitement de la complexité amoureuse évite le cliché mais ne résiste pas toujours à certains effets inutiles : scène chorégraphiée des regards en biais – on n’ose pas se regarder franchement, on s’évite, brusquement timide… ; typification homme/femme parfois un peu trop appuyée (après l’amour, l’homme allume la télé sous le regard désapprobateur de la belle)…
Mais le film continue pourtant à fonctionner et malgré quelques faiblesses apparentes, parvient à relever le défi du huis clos. Car En la Cama est aussi une gageure dramatique dont la théâtralité nous fait penser à Bug. Du corps à corps au face-à-face, se dessine une tension cathartique. Comme si chercher à se reconnaître, même le temps d’une nuit (trace lumineuse, comète dans le ciel de deux existences respectives), nous déchargeait de l’angoisse du rapport à l’autre, nous libérait de notre violence et canalisait, un peu, notre sauvagerie.