En cet été finissant, on assiste depuis Piazza San Marco à un véritable défilé de bateaux : barques privées, voiliers petits et grands, vaporetti et traghetti, paquebots de croisière monstrueux, sans oublier bien sûr les gondole.
Pour les galères, en revanche, c’est bel et bien au Lido qu’il faut se rendre, comme l’a tout récemment confirmé la projection du dernier long métrage de Matías Bize.
La Memoria del Agua suit Javier et Amanda, couple brisé par la mort de leur fils de quatre ans dans la piscine de la maison familiale.
Le film tente à la fois de suivre le parcours du père et l’évolution progressive des deux personnages, ce qui le pousse à alterner, avec quelques rares réminiscences de l’enfant disparu, des retrouvailles marquées par les tentatives infructueuses de Javier cherchant à revenir avec son ex.
Surtout, Bize nous gratifie d’une série de parallélismes entre l’un et l’autre qui sont au mieux attendus, au pire, pesants. C’est le cas en particulier lorsque le film s’efforce de suggérer le traumatisme parental: la pauvre Amanda, traductrice pour des congrès médicaux, se retrouve ainsi à traduire une description d’asphyxie, alors que Javier, architecte, installe une piscine dans la maison de ses clients.
Symboles et clichés
Enfin, on décèle la présence d’une suite « d’indices » qui semblent avoir pour fonction à la fois de baliser (trop) nettement la trajectoire du film, tout en lui conférant un vernis symbolique. Indices parmi lesquels on retiendra l’amour du fils défunt pour la neige et une double proposition de voyage dans le Sud (celle Javier à son épouse, façon road-trip, et celle du père de Javier à son fils façon camping).
À la très grande surprise du spectateur, donc (…), une neige providentielle vient sauver l’intrigue de la stagnation (couple séparé, vies parallèles), et les deux protagonistes peut enfin se retrouver pour le voyage tant attendu. Malheureusement, et de façon tout aussi surprenante, fête et retrouvailles sont de courte durée, pour un ensemble de raisons métaphysiques formulées par Amanda, qui vont de «devenir heureux à nouveau, c’est oublier l’enfant défunt et le perdre une deuxième fois» à «nous sommes seuls dans l’univers»…
En somme, La Memoria del Agua ne se contente pas d’égrener les stéréotypes, mais s’y accroche comme autant de bouées de sauvetage qui permettent de mener l’intrigue à sa conclusion : ainsi Javier affronte-t-il enfin son deuil en acceptant le voyage avec le paternel.
« Il n’y a pas de plan »
Contrepartie de cette pauvreté du script, la multiplication d’images banales, et ce tout particulièrement dans les moments clés du film : neige suspendue devant les visages ébahis des deux protagonistes, évasion en voiture réduite à une suite de profils en gros plans, scènes de sexe au ralenti noyées sous la musique d’ambiance. «Il n’y a pas de plan», répond Amanda lorsque Javier suggère que la neige pourrait être envoyée par leur fils depuis l’au-delà: on peine à ne pas appliquer cette affirmation au style de Bize.
Énumération de ratages stylistiques mise à part, il y a quelque chose de gênant dans la complaisance qui frappe sans distinction mise en scène, dialogues et interprétation. À commencer par le malentendu foncier entre les deux protagonistes, qui finit par donner forme à un duo caricatural : la femme entièrement aux prises avec son deuil, et l’homme obnubilé par la rupture sentimentale. Comme si le deuil d’un fils (voir L’Attesa, dans un registre autrement plus fin malgré tout) avait valeur de passe-partout scénaristique pour un mélo d’un nouveau genre.
Le tout, bien sûr, sous les applaudissements d’un public vénitien accommodant à l’excès. Malgré les déconfitures d’A Bigger Splash et de The Endless River, c’est moins de l’eau qui dort qu’il faut se méfier au festival que des spectateurs endormis.