Marqué par la violence des gangs de South Central, David Ayer, scénariste, s’adonne au thriller et au film d’action avec une subtilité passable : Training Day (Antoine Fuqua, 2001), Fast & Furious (Rob Cohen, 2001), S.W.A.T. unité d’élite (Clark Johnson, 2003)… Passé à la réalisation en 2005 avec Bad Times, il récidive trois ans plus tard avec Au bout de la nuit. Évidemment l’intrigue varie, mais les ingrédients sont toujours les mêmes : un univers entre violence et émotion, dans un style soi-disant « anti-classique ». Avec End of Watch, l’absence d’enthousiasme se mêle désormais à l’ennui de voir un réalisateur tourner en boucle.
Brian Taylor (Jake Gyllenhaal) et Mike Zavala (Michael Peña) forment un duo indiscipliné, mais néanmoins efficace dans la police de Los Angeles. Chaque jour, ils arpentent les rues du quartier de South Central à bord de leur véhicule de patrouille, dans un secteur attitré. Le film suit les deux partenaires dans leurs déambulations où le temps se partage entre action, ennui, conflits avec la hiérarchie, compétitions entre duos de flics et découvertes macabres. End of Watch joue à ce titre la carte du réalisme en s’appuyant sur l’expérience de policiers du secteur. Ce matériau brut est digéré pour dresser le constat affligeant d’une violence pandémique, dont les agents de la LAPD tentent de se préserver par la recherche d’une vie de famille traditionnelle et stable. La dualité fondamentale de ces individus est mise en valeur par la structure du film, alternant scènes de patrouille et moments d’intimité (en famille et en couple).
David Ayer est obsédé par la question du réalisme, qu’il investit avec une naïveté de plus en plus déconcertante. Il nous refait donc le coup de Bad Times… En 2005, l’image granuleuse et la caméra portée devaient donner authenticité et énergie à un propos mal ficelé. Cette fois-ci, on met les bouchées doubles : «Chaque scène du film a été filmée par quatre caméras simultanément, afin de saisir l’action dans son ensemble, à 360 degrés. Deux des caméras étaient d’ailleurs harnachées sur Jake Gyllenhaal et sur Michael Peña», nous explique-t-on avec fierté dans le dossier de presse. En effet, End of Watch déploie plus avant l’artificialité formelle des précédentes réalisations, en arguant la recherche d’une rupture avec un filmage « classique » et « hollywoodien » (gros mots effrayants pour David Ayer). Par conséquent, le réalisateur crée ses propres stéréotypes visuels. Avec une caméra toujours fascinée par le visage de ses stars, Ayer cherche à donner l’illusion d’images prises sur le vif par les personnages eux-mêmes. On voit Brian et Mike s’équiper de mini-caméras sous prétexte d’un projet pour un cours du soir en cinéma. L’excuse est non seulement grossière, mais, dès la première séquence, la multiplicité des angles de prise de vues rend sensible la présence d’autres caméras. La focalisation interne créée par les mini-camérasst donc immédiatement brisée, comme un constat d’échec à assumer un choix de réalisation tranché. Dans le film-catastrophe Cloverfield, le montage donnait l’illusion de ne donner à voir que les images filmées par les protagonistes et masquait le recours à d’autres caméras par la vivacité des raccords. Mais End of Watch brise l’illusion du filmage par les personnages, dès l’instant qu’il l’établit. David Ayer se coupe donc l’herbe sous le pied en construisant un découpage bâtard, oscillant entre focalisation interne et point de vue omniscient, prisonnier d’une contrainte mal négociée. La frénésie d’une caméra portée apparaît d’emblée comme une béquille vacillante pour construire une originalité factice dans un film manufacturé.
Sur le fond, End of Watch n’est pourtant pas exempt de qualités. Les trajets dans la voiture de service, entre sensibilité et grossièreté, disent toute l’ambivalence de flics tiraillés entre une virilité primaire et des aspirations romantiques. Le lien fraternel entre Brian Taylor et Mike Zavala est rendue crédible par l’interprétation de Gyllenhaal et Peña, acteurs convaincants et valeurs sûres au box-office (un atout non négligeable pour ce film). End of Watch se repose beaucoup sur l’alchimie de ce duo, dont l’investissement intensif dans le projet se ressent à l’écran. Les séquences de vie privée ne servent pas seulement de respiration entre deux moments violents, mais donnent l’épaisseur nécessaire aux personnages masculins. Dans le rôle de Janet, petite amie puis épouse de Brian Taylor, Anna Kendrick tire son épingle du jeu. Accueillie dans le cercle des femmes de flics par Mme Zavala, Janet découvre une réalité nouvelle : l’angoisse permanente de familles à la stabilité précaire, dont la quotidien est rythmé par le soulagement d’une fin de service réussie (littéralement «end of watch»).
Le troisième film de David Ayer s’affiche donc comme un projet aux intentions louables, mais corrompu par les tics formels d’un réalisateur peu inspiré. Malgré sa débauche de sophistication visuelle et sa volonté de s’ériger en film-choc, End of Watch a tout du produit factice : aussitôt vu, aussitôt oublié.