Devant le dernier X-Men, franchise fleuron des années Obama depuis son reboot en 2010, et dans la foulée de l’échec critique du Batman v Superman, on pensait la domination de Marvel acquise, bien aidée dans sa lutte à distance contre sa rivale Warner (exploitant le vivier DC Comics) par un catalogue de films de bandes bien fourni (Avengers et X-Men, en premier lieu, mais aussi Les Gardiens de la Galaxie et le dernier Captain America : lesquels flattent tous l’adage plutôt lefty selon lequel « l’union fait la force »). C’était sans compter sur Suicide Squad de David Ayer, vraie riposte de la Warner après un Batman v Superman faisant plutôt office de cheval de Troie mal fichu, et avant Justice League en guise de réponse tardive à la déferlante Avengers. Objectif affiché : emprunter le sillon tracé par la concurrence en le déniaisant d’un esprit crânement droitier, et en prenant soin, pour bien se distinguer des tâcherons de Marvel, de bichonner la finition. Et le premier enseignement de ce Suicide Squad brutalement fluorescent, c’est que la guéguerre des Studios, que redouble la guéguerre des teams (pools de réalisateurs chaperonnés par les leaders : les frères Russo chez Marvel, Zack Snyder chez Warner), pourrait virer contre toute attente à l’avantage de ces nouveaux esthètes. Avantage qui, si l’on compare la grisaille visuelle des derniers Marvel au lyrisme coloré de ce Suicide Squad, et parce qu’il rapatrierait un genre dans le giron de son idéologie première, ne serait peut-être pas un mal.
America is back, again ?
On le répète, niveau storytelling, de Marvel à DC c’est du pareil au même : même feuille de route biblico-bordélique incluant présentation fun des protagonistes, résolution artificielle de griefs tout aussi artificiels, et conquête, de guerre lasse, d’un esprit d’équipe triomphant d’une menace terroriste farfelue. Ici, si tant est que l’on ait à peu près compris, le cataclysme supposé rayer l’humanité de la carte est l’œuvre d’une déesse maya vexée de ne plus être le centre du monde. D’aucuns saisiront vite que Suicide Squad répond directement au dernier X-Men, dont le gros méchant, lui aussi d’origine divine (et étrangère : les Mayas ici, les Égyptiens là), voulait remettre les pendules à l’heure du fanatisme. Et d’aucuns auront tout aussi rapidement compris qu’en éliminant ce terrorisme métamorphe, c’est bien sûr de Daech (et avant lui d’Al-Qaïda) que les super-héros et les super-vilains nous débarrassent en fiction. Naturellement, à travers l’Amérique, c’est toujours la planète entière que l’on sauve, et il ne faut pas douter une seconde du caractère fortement idéologique de tous ces vigilante movies éléphantesques ; ni du fait qu’ils infléchissent Hollywood, trente ans après le film d’action des années Reagan, du côté d’un nouvel âge réactionnaire.
C’est pourquoi, à programme égal – apparition d’une menace terroriste, constitution d’une équipe d’égos et triomphe du monde libre – DC a peut-être une meilleure carte à jouer. DC dont l’ADN s’est rapidement montré plus à droite, ne serait-ce qu’à travers Batman, justicier le plus explicitement réac, que celui de Marvel, dont les X-Men, crées en plein clash Malcolm X/Martin Luther King, sont un peu l’équivalent des Black Panthers. D’autant qu’à la veille d’un éventuel « America is back again », avec Donald Trump aux commandes de l’État – et forcément, un peu d’Hollywood –, les apologies de l’arme à feu comme Suicide Squad auraient toutes les chances de damer le pion aux manifestes gun-free du catalogue « Obamarvel » (et notamment de la nouvelle série des X-Men). À titre d’exemple, il suffit de comparer les climax de X-Men : Apocalypse et du David Ayer pour se convaincre du clash idéologique : d’un côté, c’est Jean Grey, la plus cérébrale et proche du Professeur Xavier (« Monsieur convergence des luttes »), qui vient à bout du big boss, et de l’autre, c’est une bonne vieille bastos qui envoie l’apocalypse aux oubliettes – special dédicace à la NRA. Concordance idéologique à quoi s’ajoute, c’est évidemment le plus intéressant, la virtuosité triomphante du style Snyder (ici, producteur exécutif) : car, artisan hors pair de l’image de synthèse, l’arsenal de ralentis et d’effets criards qui a forgé son succès à la barbe du bon goût plonge précisément ses racines – il ne s’en est jamais caché – dans l’outrance graphique du comics.
Harley Drama Quinn
Or, si Batman v Superman, alourdi par un scénario précautionneux à l’excès, faisait clairement tache dans la filmographie aussi inventive que réac de Snyder (L’Armée des morts, 300, Sucker Punch et bien sûr Watchmen), la recette, sans changer d’un iota, fini par prendre dans les mains d’un autre. On retrouve un peu dans Suicide Squad – en certes beaucoup moins convaincant, plutôt par reflets –, ce mélange de cynisme charbonneux, façon polar dégénéré, et de lyrisme suicidaire qui avait fait de Watchmen la grand-messe de tout un genre. Magistralement incarnée par le couple Joker/Harley Quinn (de loin le personnage le plus intéressant, parce que le plus amoureux), la romance, trouant le récit d’apartés white trash et versicolores, semble ainsi voler sur les ailes de Fast & Furious et de Spring Breakers. Et c’est en partie sous l’angle de ce syncrétisme pop décomplexé, car parfaitement digéré, que l’offre Warner/DC Comics se montre la plus séduisante du marché. D’autant que s’il donne l’impression de bouffer à tous les râteliers, d’Inglourious Basterds à Robert Rodriguez en passant par MTV, Suicide Squad ne s’abreuve en fait qu’au viatique du plus badass, au détriment du second degré qui fait actuellement la loi du genre. Ce qui, en regard de la surenchère auto-parodique dont Marvel ne trouve plus l’interrupteur, n’a justement rien d’anecdotique. Car la coolitude (toujours barbante, ici comme ailleurs, et qui, selon les rumeurs, serait davantage le fait d’une grosse pression de la Warner sur le réalisateur que de ce dernier, plus partisan de noirceur) se paie chez Ayer au prix d’un sentimentalisme surprenant. Lequel ne fonctionne en fait qu’avec le Joker et Harley Quinn, version anarcho-pimp de Bonnie and Clyde, mais suffit à redonner un peu de couleurs à un genre toujours plus froidement connivent. Avec Suicide Squad (mais en fait, principalement avec Harley Quinn, qui dissimule son vrai chagrin sous de faux semblants), DC adresse une pichenette à l’ironie de Marvel, dont le reflex agaçant cache un paradoxe gros comme une maison : de peur de passer pour du cinéma de droite, et plutôt que de reconnaître la dimension naturellement facho du super hero movie (genre jumeau au cinéma, qu’on le veuille ou non, du Vigilante), le Studio s’en est remis à la mise à distance, parade plus équivoque qu’il n’y paraît. Et si Deadpool, dernier succès Marvel en date (produit par la 20th Century Fox, mais qu’importe), semblait couper l’herbe sous le pied des justiciers suicidaires de DC, avec son bricolage romantique-naughty, il se distinguait en réalité moins par sa love story (pur prétexte) qu’en poussant l’ironie marvellienne au bord de la nausée.
Aussi, c’est d’abord par la petite victoire du premier sur le « tout second degré » que Suicide Squad, pourtant pas avare en blagues potaches, prend un peu le genre à défaut. Son lyrisme décontracté fait ainsi écho à un formalisme sûr de ses forces, quand d’autres, trop confiants dans leur ton de petit malin, ne s’aperçoivent toujours pas que la confusion esthétique – criante dans le dernier Avengers, incapable de trancher entre la grandiloquence de ses tableaux numériques et la modestie d’un filmage tremblotant – n’a rien d’un moindre mal. C’est plutôt le symptôme d’une équation malade, conséquence directe de sa mauvaise conscience idéologique, dont découle l’impossibilité d’un premier degré. Ne dit-on pas qu’un bon film de droite est préférable à un mauvais film de gauche ? De toute évidence, la bande à Snyder ne se pose plus la question. Et quitte à s’empiffrer de super-héros pendant les dix années à venir, autant que les films ne soient pas trop mauvais.