« Là », c’est le centre de détention des Baumettes à Marseille et le service de soin où une équipe féminine (psychiatres, infirmières, ergothérapeutes) accueille les prisonniers pour panser leurs blessures. « Là » est aussi l’espace intime entre patient et thérapeute, l’endroit où advient leur échange. « Être là », pour Régis Sauder, c’est assister à cette rencontre, en témoigner, c’est observer le travail à l’œuvre. À l’heure de la médicamentation à outrance et de la mise au rebut de qui s’écarte de la norme, rendre compte d’une certaine pratique du soin, c’est interroger la société dans son ensemble et les directions qu’elle est en train de prendre.
Par sa pratique, l’équipe de soignants des Baumettes fait acte de résistance. Avec ses patients, doublement à la marge, parce qu’ils sont prisonniers et en souffrance psychique, elle travaille à établir un rapport de confiance. Les prisonniers ici sont des gens qu’on écoute, qu’ils parlent de leurs souffrances ou des menus événements qui adviennent dans leur quotidien, que l’on conseille, avec qui l’on discute, avec qui l’on plaisante. Régis Sauder enregistre ces faces à faces – et il est très discret. Ce qu’il a choisi de filmer, ce sont les visages des soignantes. Ceux des patients restent hors champ, c’est par leurs voix et les fragments de leurs corps que parfois on aperçoit qu’ils existent. Et c’est, aussi et surtout, par le regard très attentif que les soignantes leur portent, par les paroles qu’elles leur adressent. Les femmes sont des miroirs par la contemplation desquels nous accédons aux prisonniers-patients. Et le dispositif est d’autant plus fort qu’il les enrichit de tout ce que notre imagination se représente d’eux. Le film frappe fort en irradiant les plans de la présence des êtres absents de l’image.
Et en étant autant attentif à eux qu’aux femmes, qui sont bien loin d’être des faire-valoir. Ces femmes qui travaillent sont magnifiques, charismatiques et émouvantes. Nous sommes autant avec elles qu’avec ceux vers qui se dirige toute leur énergie, autant avec les difficultés qu’elles rencontrent dans leur travail, avec leur façon d’être, leurs réactions, qu’avec les souffrances, le passé et la vie actuelle de leurs patients. Jamais le film ne délaisse les uns ou les autres, il les laisse s’éclairer et se mettre en valeur mutuellement. Régis Sauder filme leur travail ensemble, son film n’a pas pour sujet la maladie mentale en prison. Entre les moments de tensions et les moments de douceur, plus étonnamment, on rit beaucoup, des répliques des uns et des autres, alertes et pleins de vie. Scandant les tête-à-tête entre patients et thérapeutes s’insèrent des scènes où l’une d’elle récite, plein cadre, des extraits du journal qu’elle a tenu pendant ses dix années d’exercice aux Baumettes qu’elle s’apprête à quitter. Un contrepoint posé, plus réfléchi, qui éclaire ce que nous recevons avec des émotions.
Cette magnification des soignantes peut sembler trop facile, trop accrocheuse. Le noir et blanc léché, le montage bien rythmé, la musique originale (trop présente) épousant les bruits de la prison, donnent cette même impression d’un film trop flatteur. Certains le rejetteront en bloc pour cette raison. Être là n’en apparaît pas moins comme un beau témoignage de la possibilité qui demeure, aux confins de la norme, de faire exister des liens entre êtres humains. Et par-là, il nous interpelle.