Tandis que les valeurs de l’humanisme s’enracinaient en Europe, un nettoyage ethnique de grande ampleur continuait de sévir outre-Atlantique à l’encontre des populations indigènes ; lorsque les États-Unis s’imposaient comme une puissance industrielle majeure, des millions d’esclaves noirs amassaient du coton sous les coups de fouet de leurs bourreaux : c’est par ces contrastes édifiants que Raoul Peck entreprend de remonter aux racines du racisme, le long d’une mini-série documentaire adaptée d’un ouvrage de Sven Lindqvist. Retraçant une histoire de colonisation, d’exploitation et d’extermination longue de plusieurs siècles, de la chasse aux hérétiques par l’Inquisition espagnole au génocide juif en passant par le massacre des Amérindiens et la traite négrière, le récit vise à renvoyer la mythologie occidentale à sa propre barbarie. Avec une riche documentation et des formules bien senties, le constat est implacable : la mise en parallèle, aux quatre coins du monde, de situations a priori disparates permet d’ausculter la pensée dualiste selon laquelle des populations ont été considérées comme barbares, archaïques et inférieures.
Sans remettre en cause la pertinence du constat, il y a toutefois à redire sur l’entreprise de déconstruction de Peck, lequel ne semble pas aller au bout de sa démarche en tant que cinéaste. De manière assez surprenante au regard de la radicalité du propos, Exterminez toutes ces brutes reconduit en effet la plupart des conventions du documentaire historique traditionnel. Voix-off monotone et solennelle, parallèles explicites avec l’actualité pour aider l’audience à s’identifier, ou encore série de recadrages sur des images d’une clarté illustrative consommée : tous les clichés du genre y sont compilés, en plus de séquences de reconstitution où la mise en scène de Peck affiche son académisme (des affrontements entre colons et indigènes filmés à la manière d’un film historique quelconque). Sorti au début de l’année, Irradiés de Rithy Pahn, qui portait sur une thématique relativement proche de celle d’Exterminez toutes ces brutes (l’extermination de masse par les moyens militaires lors du XXe siècle), déployait quant à lui son contre-récit au sein d’une disposition en triptyque, dans laquelle des images revenaient nous hanter, pour se propager et se multiplier sur trois écrans à la manière des crimes répétés sur différents continents. Il manque précisément à Peck un dispositif à la mesure de l’enjeu, une forme libérée des chaînes du storytelling occidental. En l’état, la série se révèle paradoxalement confortable à suivre, loin d’atomiser de l’intérieur cette grande machine à récits dont il s’agit encore de se défaire.