À la sortie de son huitième volet, Adrien Dénouette mettait à nu, dans ces colonnes, le sexisme autour duquel s’articule la saga Fast and Furious – accélération masculine versus immobilisme féminin – qui atteignait là son point culminant, après un septième épisode signé James Wan (le plus beau), en forme d’oraison funèbre. Que peut donc bien nous raconter de nouveau ce dixième épisode (onze en comptant le spin-off Hobbs and Shaw) qui semble inaugurer un énième cycle ? À vrai dire, la question est mal posée pour une franchise qui ne cesse de répéter, en les réagençant, les mêmes motifs (voire les mêmes plans), au gré d’une imagination empruntée à un enfant qui ferait revivre sans cesse les mêmes aventures à ses jouets. Une scène illustre d’ailleurs la mise en abyme de cet univers : Dom (Vin Diesel) regarde dans son garage de vieilles photos, qui sont autant d’images tirées des films précédents, un principe repris plusieurs fois jusqu’au générique de fin. Bien loin de l’élan initial – l’émancipation par la vitesse et l’illégalité – Fast and Furious est devenu, au moins depuis la mort de Paul Walker, un étrange univers qui ne fait plus que mettre en scène son propre déclin : à l’instar de Dom et de son fils, à qui il apprend le drift au début du film, c’est toute la franchise qui assume ouvertement de tourner en rond, jusqu’à atteindre ici un point de non-retour.
Il n’y a qu’à voir le scénario, qui pousse une fois de plus Dom et son gang à prendre la fuite, avec à leurs trousses un nouveau méchant, et la caractérisation de personnages-figurines, avec l’apparition d’un nouveau fanfaron musculeux (Jason Momoa). À son physique imposant, l’acteur ajoute quelques attributs supposément féminins (petites couettes, vernis à ongles), sertissant une composition de dur à cuire à la masculinité androgyne (il se livre aussi à de petit pas de danse et à des commérages). La dérision comme principal moteur de mise en scène – laquelle propose essentiellement de s’amuser de la persona des acteurs (exemplairement celle de l’ancien catcheur John Cena) – ne fait que mettre en évidence le désinvestissement avec lequel semblent avoir été tournées les scènes d’action.
La course-poursuite la plus convaincante est celle qui ouvre le film ; centré sur deux bolides qui traînent un coffre-fort utilisé comme arme de démolition, ce morceau de bravoure est en vérité directement tiré de Fast and Furious V. Ainsi reconvoqué, il devient une sorte de mètre étalon de la franchise. La ville ne semble plus qu’un espace vectoriel matérialisé, dans laquelle les lois de la vitesse et de la gravité orchestrent la collision des trajectoires. Louis Letterrier échoue par la suite à surpasser son modèle, peinant à insuffler la moindre créativité à des scènes qui reprennent les canevas usés jusqu’à la corde par les films précédents – le principe d’un objet pesant que les voitures doivent manœuvrer revient par exemple trois fois. Plus frustrant encore, certains antagonismes mettent régulièrement le film à l’arrêt, en le perdant dans d’interminables bavardages ou altercations. Patinant sur la chaussée tout du long, ce Fast and Furious parvient malgré tout à faire sourire par une brève audace numérique qui justifierait presque son label X : Dom survit en bandant son bras de culturiste, parvenant de justesse à déclencher le boost pour que sa voiture échappe à une gigantesque explosion dans une gerbe bleue. Réminiscence de ce que cette franchise s’est amusée tant de fois à figurer : une érection, forcément rapide et furieuse.