Tandis que l’adaptation en comédie musicale de son premier film Billy Elliot cartonne un peu partout dans le monde, Stephen Daldry poursuit avec Favelas (et après l’affreux Extrêmement fort et incroyablement près) ses portraits d’enfants sommés de se dresser face à un monde adulte hostile, tout en gardant leur part d’enfance et leur opiniâtreté. L’ennui que derrière cet apparent intérêt de cinéaste, il y a un malentendu : si ces enfants ont des accents de maturité déplacés pour leur âge, c’est moins dû à aux vicissitudes du monde qu’à la main lourde des maîtres d’ouvrage des films (réalisateur, scénaristes, producteurs…) incapables de nourrir une vision de l’enfance qui ne relève pas de schémas préconçus, machinaux, désinvestis et détachés de la réalité, à travers le prisme de leur académisme de l’émotion facile qui, par ailleurs, corsète tout. Favelas, qui se passe à Rio de Janeiro, inquiète dès son premier plan, qui sent la récupération des images-chocs devenues clichés misérabilistes véhiculés par La Cité de Dieu de Fernando Meirelles : un petit garçon braque un pistolet sur la tête d’un adulte. La suite est moins agressive dans la représentation clinquante, et les trois jeunes héros s’avèrent moins agaçants de maturité arbitraire que le jeune autiste d’Extrêmement fort et incroyablement près. Ceux-ci n’en restent pas moins instrumentalisés dans une machine à fabriquer du conte édifiant flattant une vision publicitaire de tout ce qu’il effleure.
Do the Right Thing
L’histoire : trois jeunes amis farfouillant dans la grande décharge de Rio découvrent un portefeuille objet d’une attention peu commune de la police qu’on sait peu scrupuleuse. Les voilà embarqués dans un grand jeu de piste à travers la ville, avec à la clé une mallette remplie de billets et une sombre affaire de corruption politique et policière, face à laquelle leur instinct d’aventuriers deviendra héroïsme citoyen. Hélas, on sent bien comme le film a inscrit rapidement « conte moderne » dans son cahier des charges opportuniste, puisque comme la plupart de ceux qui calculent leurs effets pour se faire contes, il confond simplicité proverbiale des enjeux et réduction de ceux-ci à des clichés creux. De son postulat de petits miséreux se mêlant des magouilles des riches, il ne tire rien qui puisse déranger la pensée politique du spectateur : pas un soupçon de rapport de classes, les enfants pauvres se contentant de rêver de devenir riches ; rien sur le rapport à l’argent, l’enfance étant considérée comme naturellement immunisée à la cupidité. Si les garçons prennent assez de coups pour justifier quelques moments mélodramatiques, ils prennent toujours garde à reprendre (notamment dans leurs témoignages vidéo qui ponctuent le film pour un apport plus décoratif qu’autre chose) leur position initiale de gamins débrouillards et solidaires du milieu populaire – tout juste augmentés de la nécessité, dictée par les conventions héroïsantes, d’un brouillon de conscience de justice sociale. Et puis, l’intérêt porté par cette production anglo-saxonne pour un pays « exotique » ne semble pas sans arrière-pensées, puisque la présence de deux Américains instruits (Martin Sheen et Rooney Mara) reste visiblement nécessaire pour valider la valeur des actes des trois compères (et pour conclure solennellement : « Ils voulaient faire ce qui est juste »). Ainsi la compassion invoquée pour l’enfance, la pauvreté et les droits de l’Homme bafoués se voit-elle entachée d’un sérieux soupçon de condescendance.
C’est écrit
Les efforts de Daldry pour ajouter du sens à cette entreprise de flatterie de clichés n’arrangent rien, bien au contraire. Le poids de l’académisme de ce réalisateur s’est toujours trahi par le montage, démonstratif jusqu’à la boursouflure. Ainsi Favelas est-il le terrain d’une série d’expériences de montage parallèle, par lequel on cherche à tout prix à établir des correspondances aussi pesantes que sans intérêt : un héros fait un geste déjà accompli au même endroit par un personnage à présent disparu, deux moments de souffrance simultanés ou presque sont juxtaposés, etc. De cette insistance se dégage une telle volonté d’inscrire le récit dans un « ordre naturel des choses » tout sauf naturel (la connexion entre les douleurs, la pré-écriture possible de nos actes… : ce genre de supposition abstraite ne reposant sur rien) que ce récit, dans ces moments-là, ne fait que s’embourber un peu plus dans sa fausseté, sous le poids du supplément d’emphase qui achève d’en faire le petit cousin, à peine plus timide et moins racoleur, d’un Slumdog Millionaire.