Le cinéma américain sait-il encore filmer les enfants de moins de treize ans ? Spielberg savait y faire, à une époque (revoir E.T.). Pour l’heure, il est inquiétant de voir comment, quand l’usine hollywoodienne ne cantonne pas un personnage d’enfant à la fonction de bonne bouille attendrissante, elle en fait le jouet de recettes de fabrication qui en assèchent la capacité à évoquer leur âge. Faire jouer ces personnages par de jeunes acteurs professionnels, incités à se référer à des techniques trop ostensibles des acteurs adultes, n’aide déjà pas beaucoup à rendre leur enfance convaincante : on finit par y voir moins les personnages d’enfants que les tics de comédien qui constituent leur jeu. Mais leur cas est fatalement aggravé par le regard d’artisan impersonnel jeté sur eux par les scénaristes et les réalisateurs, qui y projettent des schémas de représentation désincarnés, signes d’idées préconçues des adultes. Quand ils ne les affublent pas de singularités tape-à-l’œil palliant trop souvent une carence de vision de l’enfance : qui est autiste (Silent Fall, Code Mercury), qui voit des fantômes (le néanmoins réussi Sixième sens), qui se prend pour un Martien (Martian Child).
Quant à Oskar, le petit héros d’Extrêmement fort et incroyablement près, il est sujet au syndrome d’Asperger, cette forme d’autisme léger que Hollywood a déjà digérée en son sein comme béquille de scénario pour éviter de se fatiguer à écrire des personnages crédibles. L’équation, qu’on a pu voir appliquée dans Adam de Max Mayer, est simple : Asperger égale parler comme une encyclopédie, intelligence et maturité hors normes, monde un peu à part et une ou deux crises de violence pour assurer le show et rappeler que le malade a beau être sympa, il faut rester prudent. Soit un nouveau cas de corps d’enfant pris comme objet d’assemblage de clichés pour adultes, voué à racoler l’émotion par sa seule apparence, mais à ne jamais exister comme ce qu’il est censé être, plombé par les stigmates de sa contrefaçon. Une construction à la facticité criante et derrière laquelle le réalisateur Stephen Daldry, qui avait pourtant donné le change avec son si mignon garçon dansant de Billy Elliot, ne peut plus guère dissimuler sa médiocrité crasse de technicien empesé du mélo de luxe, déjà prouvée depuis dans The Hours et The Reader.
Course à la démonstration
Ainsi plombé par l’exhibition des éclats d’un personnage phénomène de foire (comme une mise à jour hollywoodienne du concept du héros du Tambour qui, coïncidence ou non, porte le même prénom), le reste de ce qu’aurait à proposer l’adaptation du roman de Jonathan Safran Foer se trouve réduit à une creuse toile de fond. Nous sommes en 2002 ; Oskar, qui a du mal à faire le deuil de son père victime du 11-Septembre, décide de reprendre le jeu de piste à travers New York que celui-ci avait imaginé pour lui faire rencontrer le monde extérieur. Une quête aux motifs flous et à la direction incertaine lui fera croiser toutes sortes d’autochtones portant chacun son histoire (dont un vieillard muet au secret vite éventé, campé par un Max von Sydow en mime Marceau du pauvre), et on devine que la série de rencontres et de portraits photographiques qu’il en tire formera un joli panorama de la diversité d’une cité meurtrie, mais toujours debout. Tel est le scénario, avec ses bonnes intentions appliquées à la lettre, caution toute trouvée de commémoration et d’émotion, et pourtant condamnée à rester pur prétexte à une démonstration d’académisme bien fignolé. Car Daldry et ses monteurs mettent bien moins de conviction à travailler cette dimension, cette quête, qu’à s’épancher sur les singularités de pacotille que l’industrie leur met sous la main : les tics des archétypes à la sophistication m’as-tu-vu-aux-Oscars, l’enfant qu’on accable des clichés d’adulte sur la quête, le deuil et la culpabilité, les détours narratifs offerts par les souvenirs et, pour un personnage, l’absence de parole. Leur manque d’idées ne leur offrant comme truchement que l’illustration de tout enjeu, à tout prix et par les moyens techniques les plus pesants (le lourd usage des flash-backs, le babillage permanent du gamin jusqu’en voix off, même les cartons écrits à la hâte par le muet pour éviter d’avoir à suggérer par les signes), ils ne parviennent qu’à étaler toute la misère de leur vision de l’enfance, de l’humain, du drame, de l’imaginaire. Quant aux morts et aux vivants de New York, ils méritent tout autre chose que ce simulacre d’hommage.