Une affaire de prostitution de Roumaines mineures à Paris attire l’attention de journalistes français qui cherchent rapidement à entrer en contact avec les jeunes filles, rapatriées à Bucarest. La réticence de l’une d’entre elles à s’exprimer devant la caméra conduit les autorités roumaines à refuser aux journalistes l’accès aux victimes – et l’histoire aurait pu s’en tenir là. Mais Radu, fixeur local pour l’Agence France-Presse, désireux de passer du côté des professionnels, refuse de manquer ce sujet et vend directement le bon plan à des reporters moins regardants sur les méthodes employées : Radu connaît quelqu’un qui, en douce, peut donner accès à Anca. Révélé en France avec son premier long, Picnic, puis avec Illégitime l’an dernier, qui avait reçu un avis partagé dans nos colonnes, Adrian Sitaru fait partie des réalisateurs de ce « nouveau cinéma roumain » dont les patrons sont Cristian Mungiu et Cristi Puiu. Plongeant dans un sujet très « Europe de l’est » – les réseaux de prostitution roumains – Sitaru orchestre un film mineur dont la réalisation naturaliste interroge avec tact la morale du travail journalistique à travers les contradictions d’un homme qui « en veut ».
Exigence de résultat
Évidemment, la volonté de Radu est telle que la limite que ne franchit pas l’Agence France-Presse entre documenter le réel et le forcer est transgressée dans le cadre d’un média moins regardant. La mise en scène d’Adrian Sitaru laisse paraître les faiblesses déontologiques de la composition du sujet journalistique, dans son squelette (une succession d’entretiens culpabilisants avec les victimes et leurs familles) et dans ses plans de coupe (les images orchestrées de la Roumanie pauvre). Du sensationnalisme du résultat, nous n’avons qu’une idée indirecte, éclairée par le nom du magazine de prime time auquel le sujet est destiné à la télévision française. Le film, au contraire, s’inscrit dans une esthétique naturaliste, suivant au plus près ses personnages, refusant le recours à la musique extradiégétique, cherchant la juste place de la caméra. Seules les couleurs, légèrement désaturées, contribuent à renforcer une appréhension âpre de ce monde sans chaleur. Le travail journalistique de Radu, lui, n’est ni de l’ordre de l’information, ni du côté du documentaire ; il est plutôt à chercher dans les formes démonstratives du reportage, avec ses codes visuels très télévisuels (la jeune fille filmée de côté, le visage semi flouté) et ses attentes simplistes (le sujet ne fait l’objet d’aucune recherche préalable de la part des français, venus sur place recueillir l’image misérable qu’ils connaissent d’avance). La force du film est de parvenir à rendre le tournage concret et humain, en couplant cette faiblesse méthodologique à des personnages plutôt bonhommes et en diluant ainsi l’arnaque journalistique dans un travail certes aveugle mais d’une apparente bonne volonté. Des chaleureuses conversations en voiture aux échanges fraternels autour d’un bon repas dans un rade local, l’équipe se forme autour d’un désir commun de faire vivre le sujet tout en dévoyant complètement, par son irrespect pour son objet, sa démarche d’ensemble.
Cinéma d’exploitation
Le fixeur est porteur d’une défaite morale, née de la dilution du choix dans la chaîne inéluctable de l’enquête (Radu étant enfermé dans sa promesse de réussir à accéder à Anca). La caméra accompagne les erreurs éthiques successives (interrogatoire douteux de la mère de la victime) et met à jour la proximité des méthodes de Radu d’approche d’Anca avec celles des proxénètes – principalement la démonstration, via des images sur le téléphone portable, que l’amie d’Anca a déjà franchi le pas. Les regards mélancoliques des acteurs, Diana Spătărescu, la jeune prostituée, au premier chef, et surtout Tudor Aaron Istodor, dans le rôle de Radu, apportent ambiguïté et fragilité au film et lui évitent un trop plombant didactisme. L’exigence de résultat que s’impose Radu se retrouve dans sa vie personnelle, dans la culture de la performance qu’il inculque à son beau-fils au cours de ses entraînements de piscine. Ce parallélisme établi par Adrian Sitaru, dans ce revers du film, épaissit son personnage et fait regarder Fixeur à l’aune des relations d’exploitation qui se déploient de la vie professionnelle à la vie personnelle, et qui concerne tout travail d’organisation ou de mise en scène du réel.