Le calendrier des sorties joue assez mal contre Illégitime. En effet, le voir débouler sur les écrans français aujourd’hui nous replonge involontairement (et malgré nous) dans les salles du dernier Festival de Cannes où l’on a pu voir en compétition deux représentants de la « Nouvelle Vague roumaine ». Il est pour le moins troublant de retrouver, dès la seconde scène du film d’Adrian Sitaru, l’acteur du Baccalauréat de Cristian Mungiu, Adrien Titieni dans le rôle du patriarche, d’un côté, et, de l’autre, le dispositif du repas virant au réglement de comptes du Sieranevada de Cristi Puiu. Hélas on ne retrouvera dans Illégitime ni la rigueur formelle de l’un, ni la causticité morale de l’autre. Cette collision de regards, qui évidemment n’a rien de calculé, dit pourtant bien une certaine tendance du cinéma roumain à ressasser indéfiniment les mêmes formules festivalières que l’on pourrait résumer grossièrement à un refoulement du passé politique du pays qui ressurgit opportunément pour mieux exploser dans le giron du cocon familial. Mélanger en quelque sorte la grande Histoire roumaine à la petite histoire de la chronique intimiste cloîtrée entre les quatre murs des appartements délavés hérités du régime de Ceausescu.
Sans vouloir faire de mauvais procès à Illégitime, il est consternant de le voir se rattacher ainsi aux grosses ficelles de son cinéma national. Ce n’est pas que le film soit pire qu’un autre, il a même des qualités : une direction d’acteurs qui balance entre une hystérie mordante et une retenue bienvenue, témoignant d’une réelle capacité à semer le trouble au sein même de ces scènes – on peut ainsi songer aux différents décloisonnements que le film fait subir à ses personnages contraints de dévoiler leurs sentiments. Cependant, le cinéaste semble tellement appliquer scolairement une recette déjà éprouvée que celle-ci, une fois passée au tamis d’une mise en scène abdiquant devant son scénario, n’accouche que d’un pénible ersatz de Festen. Ici, l’ambiguïté d’Illégitime passe par deux tensions que Sitaru essaye vainement d’entrechoquer : la découverte du passé anti-avortement d’un père par ses enfants tandis que deux d’entre eux (Romi et Sacha) mènent, à leur corps défendant, une relation incestueuse. Et le cinéaste de raccorder ces deux questionnements moraux lorsqu’on apprend que la sœur est enceinte de son frère. Le dilemme de l’IVG sera alors le point focal du film – dilemme mené tambour battant par le truchement d’une mise en scène moins concentrée sur ses faux plans-séquences distribués comme autant de blocs de discussions qu’acharnée à les découper hasardeusement pour donner des effets de réel documentarisés. Il en va ainsi du rapport d’Illégitime à la gestion de la musique : sans doute fallait-il se méfier dès la première scène où l’on voyait la jeune tribu en voiture sur le chemin du repas au son de La Lettre à Élise de Beethoven. L’esprit de sérieux contaminait déjà le projet de Sitaru en le plaçant sous les auspices d’une tragédie dont la conclusion serait aussi inéluctable que la mélodie implacable du compositeur allemand. À ce jeu-là, Illégitime cale souvent sur ses enjeux, se rêvant plus universel que ne l’est son petit scénario familialiste qui ne fait que buter sur son naturalisme d’apparat.