Gloria, bientôt la soixantaine, mère de deux grands enfants et divorcée de longue date, est pourtant dans la fleur de l’âge, celle des rencontres et des expériences susceptibles de transcender un quotidien un peu moribond. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si la première scène nous rappelle le personnage lâché dans la jungle nocturne new-yorkaise qu’incarnait Diane Keaton (avec qui la ressemblance physique est frappante) dans le vertigineux À la recherche de Mr Goodbar de Richard Brooks. Ici, Gloria investit le champ en traversant enivrée une piste de danse bondée tandis que le rythme hypnotisant de la chanson « I Feel Love » de Donna Summer semble ressusciter l’âge d’or du disco et les transgressions sociales qui lui étaient associées. Pourtant, l’intention de Sebastián Lelio ne se nourrit d’aucune rupture mais plutôt d’une continuité : celle de capter l’engagement d’une femme dans un désir de vie affective finalement assez conventionnel, en misant sur l’effet grossissant de sa caméra pour en faire ressortir le particularisme attachant.
Personnage écran
Autant dire que le film entier repose sur la performance d’une actrice très inspirée, celle de Paulina García pour qui le jeune réalisateur chilien a spécialement écrit ce scénario sous forme de déclaration d’amour. Gloria est presque de tous les plans, personnage à multiples facettes, tour à tour mère gâteau un peu envahissante ou femme excentrique à fleur de peau et de ses désirs. Incarnation du film jusque dans la chanson-titre (un tube du chanteur de variété italien Umberto Tozzi datant de 1978), Gloria est l’archétype du métrage qui mise intelligemment sur le capital sympathie que provoquera l’héroïne auprès du public. Si cela donne parfois lieu à quelques facilités (une mise en scène parfois trop sage, un juke-box de tubes populaires au travers desquels Gloria se met en scène), le réalisateur de La Sagrada Familia trouve une justesse de ton qui ne rend jamais sa démarche fermée aux autres personnages et à la société chilienne.
Rapport au monde
Accessoire qui a son importance, les grandes lunettes de vue qu’arbore Gloria pour corriger une probable myopie agissent en regard-miroir sur le monde environnant. Les événements qui ponctuent le film (une déclaration d’amour sous forme de poème, un adieu à l’aéroport) trouvent toute leur résonance dans les yeux de ce personnage qui regarde, à la fois mélancolique et burlesque. Moteur de presque toutes les scènes, Gloria n’en est pas moins observatrice, quitte à se plier devant le réel. L’une des scènes les plus probantes du film est probablement celle où le réalisateur instaure un dialogue entre son personnage et des images documentaires (les manifestations étudiantes de Santiago d’avril 2013), joli contrepoint à une scène plus empesée où les aînés discutaillaient autour de la rupture idéologique opérée par la nouvelle génération. C’est dans cette sincérité dépourvue de fioritures que Gloria s’impose avec humilité pour devenir un feel-good movie conscientisé et jamais égoïste.