Après La Sagrada Familia en 2006, film remarqué à Cannes et qui permit à son jeune réalisateur chilien d’écrire un nouveau scénario, Navidad montre un pan de l’isolement d’une jeunesse, en proie à la rupture délicate de ses racines. Beau film, non sans défauts mais qui impulse de vraies pistes de réflexion bien au-delà de son déroulement.
La maison est cachée sous les arbres, isolée sur une colline qui domine une ville lointaine. C’est ici qu’Aurora, une jeune étudiante, a passé de nombreuses vacances, jusqu’à la mort de son père et la vente de la maison. Elle y revient avec son petit ami Ale pour un dernier Noël, en couple, à la recherche des vieux vinyles de son père et plus largement des souvenirs qui occupent chaque recoin. Mais Ale découvre dans son sac une lettre qui révèle une aventure homosexuelle qu’Aurora nie en partie mais plutôt nonchalamment. Alors qu’il s’apprête à partir, se considérant trompé, il découvre la fugueuse Alicia, une adolescente diabétique évanouie dans la serre du jardin. De là les trois personnages ne cesseront de sortir avant de revenir s’isoler dans la maison, de plus en plus proches les uns des autres, en une intimité subite que seul leur âge permet.
L’adolescence ou la période un peu floue qui vient juste après coupe toujours un peu du monde celui qui la traverse. Ici les personnages ont en plus le point commun d’une rupture familiale. Ale, fils du proviseur stricte de son lycée s’est enfui de chez lui, Aurora digère la récente mort de son père, Alicia cherche désespérément à rencontrer un père qu’elle n’a jamais connu et qui doit justement l’appeler le soir de Noël. Littéralement sans racines, il faut se raccrocher, à de vieux disques ou à une carte postale, voir même peut-être malgré soi à une posture machiste où l’homosexualité est tout simplement refusée.
Navidad contient une initiation mais se refuse à révéler un véritable tournant. Réaliste, parfois naturaliste, le ton est celui d’une captation fluide d’un moment de latence, presque d’une chronique si le film était un constat. Ce qu’il n’est pas, et par là échappe à une classification a priori tentante. Ce n’est pas le passage à l’age adulte, c’est les possibilités ouvertes à l’intérieur de ce passage. À la fin les choses seront différentes pour chacun des personnages mais Sebastián Lelio reste loin, de manière cohérente avec son film, d’une moralisation du jeune adulte, de vouloir montrer une hypothétique nouvelle peau. Il est palpable que les émotions, les approches du monde souffriront encore du ressac, sans pour autant que le film se prive d’une fin narrative très concrète.
C’est que Navidad est bâti sur de grandes étapes entre lesquelles les personnages s’épanouissent, et parfois malheureusement fanent. Suite au succès critique de son premier film La Sagrada Familia, Lelio a bénéficié par la Cinéfondation du Festival de Cannes d’une résidence pendant laquelle il a écrit un scénario sans dialogues. La réalisation de La Sagrada Familia avait déjà étonné : tourné en trois jours avec un court scénario non dialogué. Ici il réitère le principe de l’improvisation, et c’est malheureusement ce qui provoque parfois de réelles pertes de rythme, lorsque les personnages échangent de brefs mots un peu pauvres, comme s’ils s’échauffaient, avant de capter entièrement le spectateur. La première partie de Navidad, particulièrement jusqu’à la découverte d’Alicia, est ainsi un peu froide, et la captation d’une nature puissante et omniprésente n’a pas le magnétisme d’un Alonso. Le réalisateur chilien est encore jeune et il pourrait bien rapidement acquérir une poigne suffisante pour diriger plus efficacement ses acteurs, il semble pour le moment que sa façon de procéder reste encore de l’ordre du dispositif.
Cependant lorsque les scènes s’enchaînent, une belle tension se développe, un peu de la dynamique qu’on retrouve sous une forme plus électrique et adulte chez Hong Sang-soo. Une véritable ambiance que l’espace filmique dessine habilement, cette fois renvoyant à des films qui s’attachent aux déformations mystérieuses des émotions adolescentes (pour la France Les Deux Vies du serpent, ou en plus inquiétant de l’autre côté du Rhin les films de Christoph Hochhäusler). Cela grâce aussi à des personnages et des acteurs très maîtrisés. Manuela Martelli, en magnifique meneuse, dans le film comme probablement sur le tournage (la plus expérimentée après entre autres Mon ami Machuca et B-Happy). Alicia Rodriguez, 15 ans en 2008, d’un solide mutisme qui laisse parfois s’échapper des communications fulgurantes, et Diego Ruiz, l’air physiquement aussi blasé que détendu, mais qui sait contredire son visage par un corps hésitant dans les actes. Sebastián Lelio a dessiné ces personnages et la répartition de leur importance, leurs échanges, leurs places mouvantes avec énormément d’habileté. Le couple initial passe du rôle de parent à celui d’ami puis d’amant sans aucune prévision pesante, dans un jeu de vase communiquant délicat, même si plus fascinant à penser a posteriori que jouissif pendant le visionnage.
Ce manque de jouissance, à quelques scènes près, dont celle, très belle, d’amour à trois, colle à la souffrance des personnages : une absence d’idéologie, comme si le poids des générations précédentes ayant traversé tant de dictature et d’utopie ne leur laissait à l’âge des engagements qu’un immense vide impressionnant. Il reste la fascination pour la vie, mais une fascination un peu froide, presque plus conceptuelle que concrète. Le film de S. Lelio laisse un peu de cette même sensation, un intérêt certain, mais qui pourrait se conjuguer bien davantage dans un film plus dense.