Gold de Thomas Arslan est le genre de film qui laisse véritablement pantois et sceptique quant aux intentions du cinéaste, car il ne dépasse jamais son petit postulat de départ, qu’il déroule benoîtement jusqu’à le rendre exsangue. En 1898, au Canada, un groupe d’Allemands traverse le nord de l’Amérique afin d’atteindre un hypothétique lieu nommé Dawson, censé renfermer de grandes ressources d’or. Ce convoi part donc pour un rude voyage, et bien évidemment, tout ne se passera pas comme convenu.
Arslan n’exploite pourtant guère le potentiel beckettien de ce pitch, et s’en tient strictement à la description des interactions à l’intérieur du groupe. Gold se situe à mi-chemin entre Dix Petits Nègres d’Agatha Christie et La Dernière Piste de Kelly Reichardt, mais ne possède ni la maîtrise du suspense du premier, ni la puissance d’abstraction du second. Les personnages y sont archétypaux et sans épaisseur, arborant des mines patibulaires de circonstance. Nous avons donc, entre autres, la femme ténébreuse et sans passé (Nina Hoss, dont on aimerait bien, après Barbara en compétition à Berlin l’année dernière, voir autre chose qu’un visage fermé), le type faible qui suit l’avis du plus fort, le chef de groupe arrogant et le beau jeune homme serviable. Tous sont plutôt du genre taiseux, comme s’ils cachaient quelque lourd secret, moyen paresseux d’essayer de donner une consistance pourtant inexistante aux personnages.
Le rythme très convenu et ronronnant du film, alternant maniaquement une scène de dialogue avec une autre à cheval, procède d’une écriture tatillonne, qui entend distiller avec parcimonie les éléments de l’intrigue, placer ostensiblement ses pions, afin de cacher une certaine misère en termes de dramaturgie. Car le récit ne fait finalement que reconduire des recettes (la disparition progressive de chacun des personnages) et des automatismes (une péripétie toutes les quinze minutes, bon à savoir si jamais vous traversez un jour l’Amérique du Nord à cheval : un tronc d’arbre au milieu du chemin, une roue cassée, une rivière à traverser, un piège à loup sont au menu des réjouissances). De plus, le film est prisonnier d’une certaine idée de la reconstitution qui le rend totalement figé, où les costumes font parfaitement fin 19ème siècle, où les villages traversés sont peuplés de bons Américains avec un accent à couper au couteau, assis sur le perron de leur demeure, attendant sagement que l’on vienne les tirer de leur torpeur.
Gold déroule donc un programme, ce qui ne serait pas si gênant si Arslan tentait d’en faire quelque chose de particulier, s’il essayait au moins de bousculer la monotonie de sa laborieuse mise en place, de créer de la passion, de la folie, du nerf. Car Gold, avançant vers un dénouement tout à fait prévisible, ne prend pas le temps en chemin de pervertir son matériau de base, d’en faire surgir les tensions qui sourdent et n’en peuvent plus d’être contenues. Que cherche-t-on à nous raconter au juste ? Lorsque, aux deux tiers du film, le beau jeune homme avoue à la femme ténébreuse, avec qui il s’est rapproché tout au long du voyage, qu’il a tué un homme il y a deux ans, il lui demande : « Que pensez-vous de moi maintenant ? » Que répond-elle ? Rien. Séquence suivante. Exemple typique d’un film qui cherche à masquer son manque d’invention et son absence d’idées en jouant avec roublardise sur le non-dit, sur ce qui est censé exister entre les lignes. Une démission totale du cinéaste, qui laisse le soin au spectateur de projeter ce qu’il voudra bien y projeter, et advienne que pourra. Mais lorsque l’on constate que le film est composé à moitié de séquences de transition où les personnages avancent à cheval au son d’une guitare toute en distorsion, on se dit que ce qu’il y a à lire entre les lignes, c’est du vide.