Angleterre, 1964. De jeunes groupes influencés par le rhythm ’n’ blues U.S clament haut et fort leur fureur de vivre en sortant des hits incendiaires. Pour coller à cette rébellion adolescente, tous ces groupes se branchent alors à l’électricité, vecteur manifeste d’une humeur bouillonnante. En prise avec les modèles d’une société ultra-conservatrice, la jeunesse anglaise déborde d’une énergie qui va contaminer le monde entier et faire exploser tous les carcans d’alors. Alerté par ce phénomène grandissant, le gouvernement anglais se lance alors dans une chasse aux radios pirates qui retransmettent ce son diabolique, sexuel, fruit de « vulgaires drogués ». Une musique qui, pour le moment, reste confidentielle…
Et le film de Richard Curtis (Coup de foudre à Notting Hill, Love Actually…) relate cette bataille des ondes qui a vu s’opposer une bande de rockers mélomanes et l’émissaire (Kenneth Branagh), pour le moins austère, chargé de les faire taire. Sur le mode comique, le film propose alors ces sauts entre le bateau Radio Rock où l’on s’éclate au son du rock’n’roll et les tristes réunions d’un gouvernement figé dans sa guerre contre cette musique nouvelle. Filmage libéré qui swingue au son des vinyles d’un côté, cadres fixes et lumières ternes de l’autre. Le malin Richard Curtis choisit bien évidemment son camp en prenant parti pour ce gang de freaks, corsaires radiophoniques gagnés par leur foi païenne et cultivant, pour la plupart, la désinvolture cool. Pirates de la pop, agitateurs délurés, ces animateurs furent à leur époque des aristocrates dont la seule mission consistait à bousculer l’ordre établi et provoquer ce frisson rock’n’roll.
L’astuce de Curtis tient donc à la simple idée de nous faire découvrir ce monde souterrain (sous-marin) par le biais d’un jeune homme banni par sa mère dans les eaux troubles de la trinité « Sex, Drugs, Rock’n’roll ». Exil assez pervers et modèle d’éducation somme toute « libérale » que d’isoler son fils au milieu d’une bande de personnages décadents, aussi fortement agités de la cervelle que puissamment travaillés par leur activité hormonale. Dès lors, ce jeune homme se retrouve au milieu du Comte Philip Seymour Hoffman, de Jumpin’ Gavin Jack Flash, de Kevin le niais, d’un hippie défoncé jusqu’à l’os, d’un rocker mutique et d’un sympathique joufflu…
Composés de multiples facettes, les tenants de Radio Rock forment finalement un ersatz de groupe de rock à bien des égards excentrique. Et si l’on regarde bien, le cinéma nous a déjà offert ce type de système où l’on suit une société clanique (et le plus souvent masculine) à travers des films comme Trainspotting, High Fidelity, Les Affranchis ou même encore La Horde sauvage. Caractères bien trempés, bulles d’égo qui se renvoient constamment la balle, chaque personnage atteste de sa personnalité par le seul choix de ses goûts culturels/musicaux. De la verve des personnages de Tarantino au fétichisme des films de Wes Anderson (on pense souvent à La Vie aquatique), on identifie ainsi rapidement sur quel pont de références danse Good Morning England.
Il n’est pas anodin non plus que chaque animateur occupe une tranche musicale en phase avec leur caractère et le style de musical qui les identifie. Du hippie qui retransmet à l’aube du rock psyché californien (Grateful Dead, Jimi Hendrix) jusqu’au DJ noctambule creusant à fond l’image d’un rock transgressif (Elvis, Rolling Stones), les animateurs de Radio Rock adoptent l’attitude qui justifient leur appartenance à une des nombreuses familles du rock.
Et c’est bien sûr par l’hurlante bande-originale de Good Morning England que va transparaître l’idée d’un « je passe ce morceau donc je suis ». Car pour tout amateur et nostalgique de l’âge d’or du rock, proposer des morceaux de cette envergure est un rêve, une véritable madeleine. Ainsi, à l’exception des Beatles, tout y passe : Kinks (« You really got me », « Sunny Afternoon »), Rolling Stones (« Jumpin’ Jack Flash », « Let’s spend the night together »), Small Faces (énorme scène de beuverie), Who (« My Generation », « I can’t see for miles », « Won’t get fooled again »), Buddy Holly, Everly Brothers, Cat Stevens, Dusty Springfield, Beach Boys…
De fait, face aux comédies romantiques et lissées d’Hollywood et celles encore plus navrantes de notre bon vieux pays (quid du comment faire plus typé entre la bourgeoisie du XVIe et les particularismes régionaux ?), c’est bien la culture du « Cool Britannia » qui l’emporte haut la main. Et même si Good Morning England demeure un tantinet trop long à cause de sa séquence post-Titanic qui frise le pathos, il est des films où la critique devrait plutôt se taire et laisser parler cette pure et rutilante musique.
Pete Townshend (guitariste des Who) de conclure : « C’est comme de dire : “prenez toute la pop music, mettez-la dans une cartouche, vissez le couvercle et tirez”. Qu’importe si ces dix ou quinze morceaux se ressemblent. On se fout de savoir à quelle époque ils ont été écrits, ce qu’ils veulent dire, de quoi ils parlent. C’est cette putain d’explosion quand on dégaine l’arme qui compte. C’est l’événement. C’est ça le rock’n’roll. C’est pour cela qu’il est puissant. C’est une force unique. »