Le metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbono réalise une autobiographie en forme de portraits successifs de ceux qu’il côtoie, d’images fantasmées, et de réflexions sur ses pièces.
Quand Pippo Delbono était petit, sa mère l’enjoignait à être normal. À se marier, faire un métier conventionnel. Cette confession du metteur en scène, illustrée par un long plan d’un couple de mariés au bord d’une plage, sonne un peu comme une justification à la forme de ce film. Témoignage autobiographique mené par le réalisateur lui même en voix off, Grido est constitué de scènes juxtaposées, tantôt captation ou remise en scène de spectacles, tantôt morceaux fictionnels, tantôt séquences tournées mi-documentaires mi jouées interprétées par le metteur en scène et son interprète principal, Bobo. Changeant sans cesse de ton, de nature d’image, de lieu et de temps, l’ensemble est composite. Un principe de mise en scène lie pourtant toutes ces séquences : la frontalité. Faire son autoportrait, c’est donc aussi dessiner les traits de ses ami. L’artiste ne se contente pas, en effet, de s’observer sous toutes les coutures, mais fait défiler toute une galerie de personnages imaginés ou réellement côtoyés, qui viennent à leur se présenter devant la caméra.
Ce que Delbono souhaite avant tout raconter, c’est sa rencontre déterminante, qu’il conçoit comme un tournant dans sa vie personnelle et artistique, avec Bobo, qu’il a connu en 1996, en travaillant dans l’hôpital psychiatrique où l’homme était interné. Bobo est l’exact contraire de Delbono. Le metteur en scène est un colosse qui nourrit le film de sa parole et de sa pensée. Bobo souffre de troubles mentaux, est sourd et muet, chétif, et ne s’exprime que par des gestes d’une précision extrême. Une aura mystérieuse émane de cette présence. Le film nous dit qu’à l’époque où les deux hommes se sont rencontrés, Bobo étaient enfermé depuis cinquante ans. Cette information plonge le spectateur dans des spéculations quant à l’âge de l’acteur, ce qui, renforcé par l’air absolument naïf qu’il arbore en permanence, lui confère une sorte de statut d’immortalité.
L’impression d’avoir affaire à une dimension primitive de l’image cinématographique est justement prégnante, et réside dans cette frontalité utilisée inlassablement. Le visage de Pippo Delbono, face à la caméra, se met en mouvement, de plus en plus rapidement, passant du net au flou. Comme une réminiscence des films scientifiques d’Étienne-Jules Marey expérimentant le filmage du mouvement, Pippo Delbono semble nous dire que par delà les rencontres et les réflexions sur la vie, l’autobiographie, c’est aussi éprouver les effets du mouvements sur son propre visage.
Mais cette frontalité omniprésente renvoie bien entendu à la mise en scène théâtrale, en particulier dans les séquences d’ouverture et de fermeture dans lesquelles apparaît l’acteur Pepe Robledo, sorte de Monsieur Loyal qui s’adresse à nous en toutes les langues, nous accueille dans le film, puis prend congé. Cet encadrement du film nous enjoint à comprendre sa structure comme une succession de numéros, accomplis par différents acteurs, séparés par les coupes franches du montage, qui sont autant de levers de rideau. Comme si parler de soi ou parler de théâtre revenait, finalement, au même.