Le bien-nommé Hard Day a fait son petit effet lors de sa découverte à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes. Il faut dire que le second film de Kim Seong-hun (mais le premier à être distribué en France) déroule son programme avec une aisance tellement déconcertante qu’on serait tenté d’y voir un léger soupçon de roublardise. La figure si répandue dans le cinéma sud-coréen du flic aux prises avec un dangereux criminel (et qui a amené jusqu’à nous quelques jolies réussites, de Memories of Murder de Bong Joon-ho à The Chaser de Na Hong-jin) est ici poussée jusqu’à un point tellement limite qu’elle permet à son auteur d’explorer son versant absurde et burlesque avec une débauche de moyens savamment maîtrisés. Tout commence par un accident : en route pour la mise en bière de sa mère récemment décédée, le commissaire Ko Gun-su heurte mortellement un homme sur une route désertée. Pris de panique, il n’adopte pas l’attitude réglementaire dans ce type de circonstances et commence à prendre des initiatives qui vont le conduire directement vers une situation totalement inextricable.
Tête baissée
Le principal ressors comique de Hard Day tient essentiellement d’un différentiel de savoir entre le spectateur, qui peut anticiper de manière assez jubilatoire l’escalade de la catastrophe, et le personnage principal, incapable d’évaluer les graves conséquences auxquelles l’expose chacune de ses initiatives. Chaque scène devient rapidement le prétexte efficace à repousser les limites de la raison et à saper une certaine idée de la bienséance. Tel un sale gosse qui trouverait un plaisir non dissimulé à tout saccager, Kim Seong-hun fait fi des questions de vraisemblance pour jeter à corps perdu son personnage principal dans les méandres d’une enquête où il se confrontera à plus ripoux que lui. Avec une certaine dextérité, le réalisateur parvient même à jouer sur la dichotomie entre ce commissaire devenu presque malgré lui le héros d’un absurde jeu vidéo et le prosaïsme d’un quotidien relativement médiocre où les personnages surnagent tant qu’ils peuvent dans le marasme économique. C’est cette disproportion – entre un cadre banal et l’attitude exagérément sérieuse des policiers – qui confère à Hard Day le charme d’un non-sens à la fois bon enfant et décomplexé.
Gérer les virages
Ce qui empêche Hard Day d’être une totale réussite tient probablement à cet excès d’efficacité. Paradoxalement, elle prive le film d’une certaine incarnation en mettant beaucoup trop à distance ces flottements susceptibles d’amener de la chair : alors que le commissaire s’enfonce à corps perdu dans une enquête totalement ubuesque, le film s’en tient le plus souvent à une succession d’effets qui maintiennent Ko Gun-su à distance pour n’en faire qu’un pantin éprouvé par le sadisme du réalisateur. Le versant totalement borderline de la personnalité du personnage (et qui nous pousse à nous demander comment il a pu obtenir des responsabilités professionnelles) n’est exploité que dans la seule perspective de relancer la machine. Nul doute que le parti-pris de Kim Seong-hun n’était pas de faire de son héros le réceptacle de nos émotions. Mais à défaut de l’humaniser et d’insuffler dans son aventure quelques tâtonnements, Hard Day limite son efficace programme à sa pure fonction de divertissement. Le brio avec lequel il est mené force la considération mais le prive d’une véritable estime qui restait pourtant à portée de main.