De quoi les zombies de Kingdom, série Netflix réalisée par Kim Seong-hun (Tunnel, Hard Day), sont-ils le nom ? D’une allégorie assez lisible de la corruption qui gangrène les élites sud-coréennes. L’épidémie qui transforme les habitants de cette Corée médiévale en des morts-vivants affamés de chair humaine part ainsi du roi, corps sacré devenu monstrueux, et d’une population si pauvre qu’elle se voit réduite à la dernière des extrémités, le cannibalisme. La série procède justement d’un mélange entre une intrigue politique (des luttes intestines pour le pouvoir, nourries de complots et de trahisons) et d’un genre horrifique dont le caractère protéiforme semble toutefois entraver ce que le récit a de plus intéressant à montrer. Là où plusieurs séries contemporaines ont joué de leur temporalité pour dépeindre étape par étape la contamination d’un milieu par un mal (cf. les deux premières saisons de The Strain, qui raconte l’invasion de New York par des vampires), Kingdom souffre de croiser dans son montage une multitude de points de vue qui abolissent les distances : à force d’allers-retours entre la capitale et le foyer de l’infection, que tente de contenir le héros (le prince héritier, pourchassé par le clan qui détient dans l’ombre le pouvoir), difficile de saisir l’organisation géographique du royaume qui donne son nom à la série. Il faut attendre l’avant-dernier épisode pour qu’un plan, celui d’une carte où se noircit la région contaminée par la maladie, révèle l’agencement géographique des différents lieux (d’abord la capitale, cœur des intrigues de palais, puis le sud, mis à feu et à sang par les zombies) et figure, par l’encre qui s’étend, le mouvement même de la maladie.

La matière feuilletonesque tend surtout à diluer la dynamique de la contamination, à laquelle se substitue un panorama politique qui n’est pas sans ménager une certaine ambivalence. Comme le montre la carte ci-dessus, l’épidémie est une réaction d’une extrémité du royaume (le sud noirci) à ce qui se noue dans son centre malade (la capitale), liant distinctement la masse impersonnelle des zombies à une poignée d’aristocrates malveillants qui récolte ce qu’elle a semé. Or, sur ce point, Kingdom se contente de pointer lourdement les inégalités et d’opposer au clan corrompu qui a mainmise sur le pouvoir un contre-modèle en la personne du prince héritier, sans pour autant véritablement investir le point de vue de ce peuple réduit à des figurants et à la meute des morts-vivants. Si la série peine dès lors à convaincre à l’échelle de son mouvement d’ensemble, elle fait toutefois preuve d’une certaine inventivité dans le détail des scènes d’action, hélas trop peu nombreuses, mais qui tempèrent la déception générale. La belle idée de la série est de faire du zombie une figure de pure rupture, d’abord entre le jour et la nuit (les zombies hibernent l’aurore venue et chaque crépuscule prend la forme d’une course contre la montre), puis entre le sérieux des affaires de la cour et le surgissement de l’horreur, qui n’est pas sans ménager un certain humour. À son meilleur, ce mariage entre effroi et bouffonnerie accouche de quelques trouvailles qui méritent le détour, tel cet improbable champ-contrechamp entre un prisonnier encore sain et son comparse contaminé, tous deux à la fois reliés et séparés par un carcan.