Des navets, Sir Michael Caine en a vu d’autres (se souvenir du mythique Terrain miné de et avec Steven Seagal !), et devrait survivre sans trop de dommages à celui-ci. À 77 ans dont 54 de carrière, celui qui est sans doute le plus grand acteur britannique en activité n’a eu que rarement les honneurs d’une tête d’affiche ces dernières années, infiltrant de sa présence à la fois élégante et insinuante les distributions du cinéma hollywoodien. On était donc intrigué et, avouons-le, assez excité de voir son nom en grand à côté du titre, sans parler de sa silhouette de vétéran tenant un sac de voyage et un revolver, ravivant le souvenir de ses débuts de star dans le film de genre british et avant tout le polar bien serré Get Carter (La Loi du milieu) de Mike Hodges. Las, le résultat refroidit vite les ardeurs.
Le vieux fusil
Il y avait pourtant de quoi faire, en mettant en évidence sa physionomie aussi distinguée qu’éprouvée par les ans dans un genre musclé — ne serait-ce que suivre cette curieuse tendance récente des « old men with guns », consistant à mettre en scène des vieux résilients et n’hésitant pas à faire le coup de poing, dans un environnement social pas vraiment favorable pour eux et des genres exigeant généralement des héros plus jeunes. Après les variantes eastwoodienne (Gran Torino), mel-gibsonienne (Hors de contrôle) et parodique molle (Red), la tendance se met ici à l’heure anglaise : au milieu d’infâmes barres d’immeubles de la banlieue de Londres, un ancien marine vétéran de la guerre de Corée va devoir renoncer à son pacifisme post-traumatique, sortir les calibres et botter le train des jeunes dealers qui terrorisent son quartier.
On reconnaît ici un pur vigilante movie, le même sous-genre que revisitait Gran Torino sur un mode fantomatique. Mais Harry Brown, lui, ne s’embarrasse guère de rétrospection, pas plus que de réflexion sur sa propre matière — la tentative ratée d’un homme d’une ancienne génération de s’adapter à la nouvelle. Et s’il joue bien la carte sentimentale d’un Caine pleurnichant autant sur un ami assassiné que sur la ligne de conduite tranquille qu’il s’apprête à perdre, il n’en adopte pas moins clairement, et comme si de rien n’était, les réflexes discutables qu’on croyait emportés dans la tombe de Charles Bronson : méchants et décors urbains bien repoussants, discours rance opposant le bon vieux temps et l’immoralité galopante d’aujourd’hui, affrontements de western au milieu du béton, police si impuissante qu’elle doit acquiescer tacitement à la justice personnelle… Même un escalier entrevu dans une scène de poursuite évoque irrésistiblement le premier Justicier dans la ville. Hommage appuyé ou tentative de réactualisation ? Réalisateur et scénariste ne tranchent pas vraiment, et c’est sur ce point que le film, malgré la stature de Caine brandie comme une caution, sabote sa défense, même par les fans hardcore de ce genre d’exploitation.
Une balle dans le pied
Dans les vigilante movies des années 1970 – 80, l’exploitation des peurs contemporaines était évidemment un pur prétexte pour réactualiser dans un contexte récent les schémas des genres violents comme le western, voire le film de guerre. Le problème de Harry Brown — et ce qui rend n’importe quel de ses vieux cousins un peu moins antipathique que lui — c’est que n’acceptant pas son statut de film d’exploitation, il s’escrime piteusement à nous mettre sous le nez son prétexte, l’air d’en faire un discours crédible et consensuel — une excuse. Le film se perd dans un double jeu permanent, ramenant à tout bout de champ son contexte de réalisme social (au sens de la conception du réalisme social par la fiction britannique qui la pré-mâche et la digère depuis longtemps) comme s’il pouvait donner un semblant de sens à des scènes de violence purement vouées à la jouissance (à l’image du premier meurtre filmé comme une vidéo de skater). Et d’alterner sans vergogne des séquences de deux registres différents, chacun essayant de motiver l’autre. D’une part, les passages obligés les plus racoleurs du genre, complaisamment illustrés (notamment une scène de deal où la recherche du détail cradingue flirte avec le grotesque du risible 8mm de Joel Schumacher), où la plupart des balles tirées se prennent en pleine tête parce que ça impressionne plus. D’autre part, des tranches de grisaille trop familières à la fiction britannique pour être honnêtes et qui, même dans une scène d’émeute mise en scène à grands frais, ne s’extrait jamais d’une vision du réel formatée pour la télévision (la moindre intervention d’un policier semble extraite d’une série locale). Plus que sa complaisance dans des schémas douteux, c’est sa duplicité forcenée, son refus de s’assumer comme le pur produit d’un fonds de commerce, qui flingue Harry Brown aussi sûrement qu’une balle de Dirty Harry — même dans le pied.