Mel Gibson revient, et il n’est pas content. De retour en haut d’une affiche pour la première fois depuis 2002 et les mauvais Signes de Shyamalan, l’acteur entend bien démontrer qu’il a encore « l’âge de ces conneries ». Mais le cinéma d’action hollywoodien l’a-t-il encore, lui ?
Retour au primaire
Adaptation d’un thriller politico-écologique flirtant avec la science-fiction, créé en six épisodes pour la BBC en 1986, Hors de contrôle pourrait a priori, après celle de State of Play et peut-être avant celle de Red Riding, s’inscrire dans l’intérêt de plus en plus visible de Hollywood pour les produits de la télévision britannique — tendance qu’on n’avait guère vue venir en 2000 quand Traffik de Channel 4 devenait un film choral multi-primé — et surcoté — de Steven Soderbergh. Mais le préjugé s’écroule rapidement : à l’ambition des adaptations de séries susnommées de traiter de front le politique et le social en faisant — comme le veut la tendance actuelle — mine de conscience de la complexité du monde, Hors de contrôle oppose comme un brutal retour en arrière, comme en quête d’une limpidité d’enjeux révolue.
D’une série qui, en phase avec son époque, jouait de la menace du nucléaire et des collusions entre États et grandes entreprises, le film décalque consciencieusement des éléments, mais en tire sans vergogne un « film de vengeance » qu’on croirait tout droit sorti des années 1970 – 80, avec flic revanchard n’ayant rien à perdre, interrogatoires musclés, courses-poursuites, fusillades et même sauts de voiture au ralenti. De la source à son adaptation, un dénominateur commun révèle un indice ironique de cette mutation : le réalisateur Martin Campbell, petit artisan de la BBC quand il se chargea des six épisodes il y a vingt-quatre ans, aujourd’hui gros artisan du cinéma d’action gonflé à l’impact des cascades et à la vitesse des mouvements d’appareil (Vertical Limit, GoldenEye, Casino Royale…). Soit un type de cinéma qui, aujourd’hui comme hier, reposant essentiellement sur l’efficacité physique primaire, ne prend guère le temps de se poser des questions sur lui-même, ni sur ce qu’on lui donne à filmer (scénario, personnages, monde etc.).
De cet objet de divertissement « bourrin » un peu anachronique et qu’on peut soupçonner de chercher à titiller une certaine nostalgie, Mel Gibson, en pause dans sa carrière de réalisateur fournisseur de sang et de tripes à la sauce hollywoodienne, constitue un immanquable fer de lance. Si l’acteur affiche encore le goût pour le martyre physique de ses années Mad Max/Martin Riggs, il laisse aussi paraître une certaine façon d’assumer crânement son évolution personnelle et artistique de ces dernières années, comme un clin d’œil provocant à la publicité douteuse qu’il s’est faite de lui-même. Difficile de ne pas voir son empreinte de star consciente d’elle-même dans ce personnage de flic à la recherche des meurtriers de sa fille : gris comme un monolithe, élimé — comme son inséparable imper terne — par l’âge et l’alcool, adepte de sentences à l’arrière-goût apostolique propre à faire grincer les dents des détracteurs de l’étouffe-chrétien La Passion du Christ. Le film et son acteur principal prennent ainsi un plaisir évident à foncer sur des ornières bien usées et qu’on pouvait croire obsolètes.
Vengeance tiède
Tentative un peu futile de dépoussiérer un genre de spectacle primaire ? Peut-être pas si futile que ça, si on considère que ce genre en particulier — le film « de vengeance », mais aussi son cousin germain, le film « de vigilante » façon Un justicier dans la ville, avec lequel flirte Hors de contrôle à travers son héros policier à l’assaut d’ennemis de la société civile — n’est pas dénué d’intérêt. Quels que soient les reproches auxquels peuvent s’offrir de tels films (complaisance dans la violence, discours démagogique et/ou sécuritaire, etc.), on ne peut nier la portée interrogatrice de ce qui anime tous ces vengeurs/justiciers plus profondément que des idéaux de cliché, que ce soit travaillé, épousé ou ignoré par la mise en scène : l’élan irrépressible vers la destruction, un certain goût pour la mort — « death wish », n’est-ce pas justement le titre original d’Un justicier dans la ville ? C’est ce qu’à la rigueur, on pouvait guetter dans le spectacle d’un Gibson jusqu’au-boutiste, à défaut de voir la réalisation peu regardante de Campbell travailler cette matière. Mais pour cela, pour voir transparaître cette petite chose troublante, il aurait sans doute fallu que le film se lâche un peu plus dans le brutal et le primaire, sans filets, sans peur du politiquement correct.
Hélas, sans doute un peu trop conscients de la menace de ringardise et d’accusations d’apologie de la vengeance, les scénaristes ont entouré leurs personnages et leur intrigue de tant de précautions que celles-ci sont les seules choses qui transparaissent au bout du compte. Ainsi, le héros trouve ses limites, non dans le simplisme de son archétype et de ses motivations, mais dans le mélange de brutalité et de fragilité qu’on a voulu lui insuffler artificiellement et qui en font moins un personnage qu’un assemblage de schémas de caractérisation. D’un côté, c’est un enquêteur implacable, brutal, qui trouve tous les moyens à sa disposition de flic au bord du gouffre pour tirer une justice toute personnelle. Mais de l’autre, le film lui impose, en guise de séquences émotion artificiellement juxtaposées à l’action, de navrantes scènes d’hallucinations où il voit sa fille encore vivante, lui parle, écoute ses paroles qui le motivent dans sa quête. Difficile de croire en ce personnage qui d’une part se comporte en homme de terrain déterminé et dur à cuire, et de l’autre se love dans l’adoration d’illusions, d’images mortes, qu’il a de toute évidence une envie maladive d’aller rejoindre (ce que le film lui accorde complaisamment, dans un dernier plan dégoulinant). Tout se passe comme si les scénaristes avaient voulu consciemment introduire l’idée de « désir de mort », mais sans vraiment savoir de quoi ils parlaient.
De même, c’est toujours désireux de ne pas trop laisser la bride sur le cou du justicier solitaire que le film tente maladroitement de nuancer la nature brutale de sa quête, n’hésitant pas au passage à saborder le peu d’ambiguïté dont l’occasion lui était offerte. Tout est encore affaire de personnage : ici, celui de l’homme de l’ombre — interprété par Ray Winstone — par qui le policier apprend les dessous politiques de l’assassinat de sa fille. Au lieu de laisser ce second rôle à sa place d’archétype interlope, d’ouverture peu fiable offerte au héros vers un monde trouble, le film tâche de lui insuffler une âme et une chair, d’adopter brièvement son point de vue intime, d’offrir ainsi un second regard sur l’affaire, plus mesuré que celui du vengeur tout en cachant de moins de moins une certaine sympathie pour lui, donnant finalement à la quête de vengeance une motivation de justice faussement objective et tout juste bonne à motiver une ultime scène de tuerie-défouloir. Si manipulation douteuse des esprits il y a ici, elle est moins dans la complaisance d’un défoulement cathartique aux dépens de cibles faciles de « méchants » — comme dans d’autres films du genre — que dans la frilosité d’un récit qui recule devant sa propre simplicité et s’impose d’encombrants garde-fous pour paraître plus fin qu’il l’est vraiment. Mais la vengeance est un plat qui se mange froid — pas à moitié cuit.