Le passage à l’âge adulte, dans l’imaginaire cinématographique américain, s’articule presque toujours autour des mêmes rites, véritables calques des piliers de la société américaine (famille, travail, etc.). Bal de promo et remise des diplômes pour les ados, mariage et vie de famille pour leurs aînés : pour les personnages, autant de carcans qu’il va falloir accepter et faire siens pour devenir enfin un adulte lambda. Du teen movie au décalage vers les twentysomethings, la structure narrative de ces récits d’initiation est toujours la même, mettant souvent en scène un rejet (sursaut de doutes et d’angoisses avant l’ultime engagement, qu’il s’agisse de devenir adulte ou membre d’un couple voire d’une famille) qui mènera plus tard à l’acceptation – de ce qui était prévu ou d’autre chose, qui y ressemble souvent. Peu importe doutes et péripéties, le terme de la fiction est toujours donné dans une même dynamique d’assimilation des codes.
L’idée amusante de Lynn Shelton avec Girls Only, est de confronter l’initiation adolescente à celle d’une jeune femme sur le point de se marier. De faire d’une pierre deux coups, en somme, deux films pour le prix d’un. Belle perspective au départ que cette promesse d’une amitié entre deux âges (Megan et Annika se rencontrent autour d’un skate et d’une bière) qui pourrait, en prenant les choses à l’envers, perturber le caractère convenu des initiations. Le film se donne d’abord comme une régression plus qu’un apprentissage, du point de vue de Megan, et cette courte proposition (pourtant éculée par le versant masculin de la comédie) est bien vite renversée. Comme d’habitude cette perturbation de l’ordre normal des choses n’est que le prétexte de la fiction, son moteur vite oublié. Girls Only ne cesse ainsi de s’auto-appauvrir au lieu de laisser libre cours à sa fantaisie, pour nous livrer un énième message sur l’engagement et l’amour.
Mode d’emploi
Les codes se referment sur eux-mêmes, Lynn Shelton étant incapable d’offrir, de la confrontation entre ces deux âges, autre chose que deux trajectoires parallèles, prom night et mariage se superposant (ou constituant une alternative, ce qui est plus amusant mais revient dans l’anecdote au même) pour dire que, de la première histoire d’amour à celle dont on fera sa vie, les angoisses sont les mêmes – mais il faut y aller. C’est un peu comme ce symbolisme facile : les robes criardes des amies de Megan au début du film contre ses tenues blanches, pour nous montrer qu’elle n’est pas encore rentrée dans le moule, ou l’absence d’une mère pour Annika qui sera vite compensée par celle qui se donnait d’abord pour une copine. La méthode est convenue et d’emblée mise à plat par son manque total d’audace ou de nouveauté.
Il manque à la réalisatrice américaine l’impertinence qu’il lui faudrait pour emmener ses histoires ailleurs. Elle s’autorise d’ailleurs cette rare fantaisie : « Lynn », c’est une vieille tortue qui vit chez Annika – symbole de sagesse auquel s’identifie Megan. Seul point obscur du film, ce clin d’œil n’est lui non plus jamais exploité, oublié comme la tortue dans son coin d’appartement. Ainsi la réalisatrice semble toujours intéressée par la comédie romantique dans ce qu’elle a de plus banal et conventionnel, bien qu’elle y donne en général un point de départ loufoque : ici la régression d’une jeune femme qui se perd à traîner avec une ado, avant avec deux amis hétéros se lançant le pari de tourner un porno gay amateur (Humpday) ou un cœur brisé seul à la campagne avec une inconnue, au moment même où la sœur de celle-ci arrive pour lui déclarer sa flamme (Ma meilleure amie, sa sœur et moi). C’est un cinéma qui, d’ailleurs, semble étrangement attirant ou familier pour le cinéma français, suffisamment pour qu’il en propose toujours des remakes : Do Not Disturb pour le premier, par Yvan Attal ; Et ma sœur ! pour le second encore en post-production, de Marion Vernoux. Pour Girls Only, on voit bien l’adaptation française avec Louane et Virginie Efira en tête d’affiche. Mais alors qui pour le rôle de l’éléphant ?