Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez eu vraiment peur au cinéma ? Non ? Le réalisateur anglais Neil Marshall est là pour vous rafraîchir la mémoire. Car il se peut bien que The Descent, son second film après Dog Soldiers (variation sympathique mais inaboutie sur le mythe des loups-garous) devienne avec le temps l’un de ces souvenirs cinématographiques qui ont la saveur du culte, tels L’Exorciste et Les Dents de la mer en leur temps. Un cauchemar imprimé sur Celluloïd qui réussit un tour de force, rare aujourd’hui dans le cinéma dit « d’horreur » : terrifier le spectateur en jouant à la fois sur les codes inhérents au genre et sur les références, nombreuses, qui ont émaillé l’histoire du cinéma d’épouvante, sans jamais duper personne. Ici, pas de second degré à la Scream ni de concept type Le Projet Blair Witch. The Descent est avant tout un monument d’angoisse dont le seul objectif est de jouer avec les nerfs du spectateur, perpétrant la tradition sado-masochiste qui unit les grands maîtres de l’effroi à un public qui en demande toujours plus.
The Descent met en scène six amies qui se retrouvent pour une expédition spéléologique un an après qu’un drame a brisé la vie de l’une d’entre elles (elle a perdu son mari et sa fille dans un accident de la route – une scène d’une traumatisante efficacité). Évidemment, rien ne va se passer comme prévu : une fois sous terre, un éboulement les oblige à changer leur plan de route, et les jeunes femmes ne vont pas tarder à comprendre qu’elles ne sont pas seules. La première réussite du film, c’est de jouer habilement sur l’identification avec les héroïnes. Non seulement les six comédiennes sont totalement inconnues, mais elles sont parfaitement crédibles : jolies et sportives, elles sont l’antithèse des poupées que le cinéma d’horreur américain essaie constamment de faire passer pour des étudiantes en droit capables d’affronter des bûcherons psychopathes. Neil Marshall s’attache dans le premier quart du film à installer leur complicité, étape indispensable pour mieux exprimer la déliquescence du groupe devant les dangers à venir.
Mais c’est une fois sous terre que le réalisateur déploie tout son talent. Extrêmement maîtrisée, la mise en scène regorge de créativité pour indiquer la claustrophobie, la peur du noir, la perte de repères dont sont victimes les protagonistes et, par extension, le spectateur. Marshall nous propose un cinéma brut et sensoriel – en témoigne chaque plan dont l’éclairage naturel (lumières des casques, lampes de poche, torches) renforce la force d’évocation. The Descent est, plus que tout autre film d’horreur récent, une invitation à l’interactivité : si les jeunes filles sont enfermées dans le noir avec, pour seule issue, l’obligation de faire face à l’innommable, le spectateur est à peu de choses près dans une situation semblable. Film à l’ancienne, The Descent est conçu pour l’expérience cinématographique en salle, enfonçant le clou de la suprématie du rituel des salles obscures sur le visionnage pop-corn du home cinema.
Il est d’ailleurs largement déconseillé aux amateurs de friandises de se gaver pendant la projection de The Descent, au risque de s’étrangler. Car plus le film avance, pires sont les épreuves endurées par le groupe. Neil Marshall ne craint pas la surenchère parce qu’il sait comment l’utiliser : de façon soudaine et brutale, avec une sauvagerie dont le réalisme contribue au malaise général qui se dégage du film et de son discours. Parce que finalement, bien plus effrayantes que les atroces créatures qu’elles doivent affronter pour sauver leur peau (par ailleurs extraordinaires de précision et réellement monstrueuses), les jeunes femmes se transforment en machines de guerre dont la fureur, tout à fait crédible, finit par être la principale source d’effroi. On pense bien entendu à la Sigourney Weaver des Alien, l’une des références du film qui, de clins d’œil appuyés en véritables citations, en contient beaucoup : Délivrance, The Thing, Pitch Black ou encore Carrie, mais Neil Marshall a le bon goût de citer les maîtres sans jamais les copier bêtement. Dans The Descent, toute l’histoire du cinéma d’épouvante est présente et pourtant, le film respire l’audace et la nouveauté.
Jusqu’au dernier plan (à glacer le sang), Neil Marshall déroule son récit avec une assurance frondeuse, passant sans répit de l’angoisse pure provoquée par nos peurs primaires (la forêt, l’obscurité, l’enfermement) au gore le plus effroyable, et ne laisse à son public que l’obligation de le suivre dans son terrifiant voyage qui s’impose d’ores et déjà comme un classique du genre. Tant pis pour les amateurs de spéléo…