Premier film sous influence, Jumbo de Zoé Wittock brosse le portrait de Jeanne (Noémie Merlant), une jeune femme « différente » et réservée qui travaille de nuit dans un parc d’attractions. C’est là qu’elle tombe sur Jumbo, un manège fluorescent qui semble prendre vie à son contact et dont elle va tomber amoureuse. Si l’argument n’est pas sans évoquer tout à la fois un certain cinéma de l’émerveillement (les lumières du manège rappellent fortement celles des vaisseaux de Rencontre du troisième Type et d’E.T.) et des films de genre tels que Carrie et Christine de Carpenter, Jumbo cultive toutefois davantage une esthétique sensorielle dont moult films plus contemporains font leur miel. Le recours privilégié à la longue focale, combiné à des néons bariolés et une bande-son accentuant tel son ou atténuant tel autre, vise à figurer le paysage mental de son héroïne, à accéder à l’intériorité d’une psyché. La mise en scène tombe ainsi rapidement dans le piège d’une imagerie éculée, qui atrophie son potentiel : Wittock ne fait par exemple pas grand-chose de son décor atypique, un parc d’attractions plongé dans la nuit, ni du manège lui-même, dont la forme, à mi-chemin entre l’étoile de mer et la pieuvre, portait en germe un trouble sexuel inexploité. Quand pointe l’horizon de la première fois, le film recourt d’ailleurs encore à un emprunt : une séquence onirique très fortement inspirée par deux passages d’Under the Skin de Jonathan Glazer (le fond blanc et l’encre noire qui s’empare de Jeanne).
On s’étonne surtout du premier degré qui paralyse Jumbo et le conduit à une forme de ridicule où l’on devine, ici et là, ce qu’aurait pu donner une approche plus ludique de la situation. Mais non : ce n’est point pour être comique que Margarette (Emmanuelle Bercot), la mère de Jeanne, réplique, moqueuse, en apprenant que sa fille a eu un orgasme avec l’attraction, qu’« [il] y a peut-être des risques de court-circuit, non ? Si tu mouilles vraiment, il peut rouiller ça, tu sais ? », avant de la mettre à la porte en lui criant : « Ne refous pas les pieds ici tant que tu n’as pas sorti ce tas de ferraille de ta tête ! » On pourrait en rire, si le film ne demeurait pas si monocorde et, au fond, conformiste, en dépit de son pitch fantaisiste : fable sur la différence, Jumbo s’achève, c’est un comble, sur un mariage, une famille ressoudée et un happy-end au ralenti.