Abonné aux adaptations de comics (X‑Men : le commencement et Kick-Ass), Matthew Vaughn, l’ancien acolyte de Guy Ritchie, s’attelle une fois encore à la mise en image d’une bande dessinée : Kingsman : Services secrets. Bien que le film s’intéresse plus à la formation et à l’initiation de jeunes recrues qu’aux missions des espions majeurs et vaccinés, Kingsman n’est pas, comme on pourrait le craindre, une version teen de James Bond, mais bien une relecture jouissive et irrévérencieuse des gimmicks qui ont fait les belles heures de 007 (période 1970/1980). Un hommage vintage en somme.
Spy Academy
Entre sa mère, à la colle avec la petite frappe de son quartier et l’absence complète de perspectives d’avenir, Eggsy (Taron Egerton) multiplie les frasques débiles jusqu’à son arrestation pour vol de voiture. Là, il n’a d’autre choix que de composer un étrange numéro qu’un inconnu lui a donné des années auparavant, à la suite de la mort de son père. Aussitôt relâché, Eggsy rencontre son bienfaiteur Harry Hart (Colin Firth), un soi-disant tailleur de Savile Row. Toutefois, Harry préfère dénuquer des hommes à mains nues plutôt que plier des chiffons, comme va bien vite le constater le jeune garçon. Espion pour un service de renseignements concurrent au MI6, Harry doit présenter un candidat pour la nouvelle session de recrutement de son agence. Le fougueux Eggsy lui apparaît dès lors comme le candidat idéal.
Comme il l’avait brillamment démontré dans X‑Men : le commencement (et dans une moindre mesure avec Kick-Ass), Matthew Vaughn se plaît à observer des héros en devenir, des gamins doués au seuil d’une nouvelle existence palpitante. Dans Kingsman, cette capacité à filmer la métamorphose d’un être, de petit délinquant sans talent à espion surentraîné, se double d’une réflexion sur l’intégration sociale. Se confrontent en effet durant cette sélection deux Angleterre : celle des universités prestigieuses, bien née et bien éduquée et celle des quartiers défavorisés incarnée par Eggsy. Cette dichotomie, autant comportementale que culturelle, donne lieu à des saillies comiques irrésistibles (le choix du chien, la scène de drague) qui interrogent perpétuellement la notion même de gentleman.
James Bond ? Jason Bourne ? Non, Jack Bauer !
Mais Kingsman n’oublie pas pour autant son cahier des charges « jamesbondien ». Alors que les jeunes recrues s’entraînent, un hyper méchant doté d’un plan diabolique apparaît au grand jour. Valentine (Samuel L. Jackson), un magnat des télécommunications a trouvé la parade au réchauffement climatique, rien que ça. L’absurdité de sa méthode rappelle les idées machiavéliques des Némésis de Bond, et tout concourt à inscrire le film dans cette généalogie : le sous-fifre du méchant, boule de violence incontrôlable (en l’état une charmante jeune femme dont les jambes sont remplacées par des lames aiguisées), la découverte d’une cachette souterraine, jusqu’aux répliques qui se permettent de tournebouler les classiques. En tournant le dos à la mode psychologisante des héros pop (Batman, Superman ou James Bond), Vaughn embrasse les codes classiques des films d’espionnage de 007 (un scénario abracadabrantesque, des personnages à la limite de la caricature) sans s’embarrasser d’une quelconque spiritualité. Au contraire, il fonce tête baissée dans le premier degré délirant comme lors de la formidable séquence d’église qu’un Tarantino ne renierait pas.
Pied au plancher, Kingsman s’amuse des poncifs, revitalise une veine cinématographique tombée en désuétude (le James Bond old school) sans oublier que le XXIe siècle a enterré les vieilles marottes pour encenser de nouveaux héros. À ce titre, le tête-à-tête entre Arthur, le chef de l’agence (Michael Caine) et Eggsy, où il est question du patronyme d’un chien, synthétise ce changement de génération. En faisant se côtoyer des figures tutélaires anglo-normandes (James Bond et les chevaliers de la Table ronde) et des nouvelles têtes de gondole de la culture américaine (Jack Bauer et McDonald’s), Vaughn accouche d’un film hybride, un précipité mi-hommage mi-dézingage absolument revigorant.