Après le succès de Depuis qu’Otar est parti en 2003, Julie Bertuccelli quitte la Géorgie pour un second pays d’accueil : l’Australie. Elle capte la beauté romantique des immenses paysages et y pose l’histoire d’une famille paumée sur le radeau du deuil. À la barre Charlotte Gainsbourg, âme errante endeuillée, brutalement coupée de son amour, qui tente de choisir la dérive comme voie de navigation.
C’est au bout d’une piste de sable rouge que cela se produit. Peter rentre du travail, il a pris en chemin sa fille de 10 ans qui, debout sur le plateau du pick-up, contemple son univers. Peter meurt brusquement, s’affaisse contre le volant, laisse la voiture sortir du chemin et cahoter lentement vers la maison. Dans ce beau paysage, puissant parce qu’immense et capté comme tel à chaque plan d’extérieur, elle avance pesamment, finit sa course contre l’énorme figuier qui deviendra le centre du récit. Cela n’a rien d’un accident : pas de gros choc mais un heurt très léger contre le vieux tronc. C’est une mort douce, personne n’est blessé, ni la petite fille ni même l’arbre. Cela n’a rien d’un accident car voilà déjà une scène tout à fait pensée, qui insuffle l’idée qu’il n’y a pas de hasard, que l’âme du père est invisiblement passée dans l’arbre, sous les yeux de sa fille bien qu’elle n’en ait pas encore conscience. Aussi bien, les spectateurs terre-à-terre ne seront pas contredits en affirmant que c’est une mort absolument rationnelle et que la nature alentour l’est tout autant.
La scène est filmée sur ce fin fil de la suggestion. On croirait bien à une puissance… c’est comme si la nature pouvait… l’animisme serait-il… Il n’y aura jamais d’affirmation. L’Arbre est ainsi tout du long, suggérant que le défunt mari s’est réincarné dans l’arbre, mais ne tranchant jamais en faveur du réalisme, du fantastique ou du merveilleux. Il relate cette croyance, douce folie pour tromper la douleur. Tout cela avec beaucoup de délicatesse, de savoir faire technique, d’acteurs de tous âges parfaitement vivants. L’indécision réalisme/fantastique n’est pas en soi un problème, mais rester sur cette lisière devient un principe dévorant, presque la seule raison du film.
Tout du long, les signes s’accumuleront autour des deux personnages féminins, la mère et la fille, les deux passant un temps quotidien conséquent au creux des branches, la petite à lui parler, la grande à le ressentir. C’est l’occasion pour Bertuccelli de révéler en tours et détours langoureux la force de cette plante géante, qui couvre d’ombre la maison, puis qui peu à peu l’oppresse. Passé le premier stade du romantisme, le film, qui agit tout en frôlements, glisse un moment en direction du frisson. Ce sont les égouts bouchés sous l’action des racines, une branche qui s’écroule dans le lit conjugal lorsque la veuve Dawn (Charlotte Gainsbourg) se laisse aller à une aventure, etc. À cette étape, le spectateur peut encore jouir de l’indécision, et les cadres quasi carte postale additionnés à cette nature soudainement inquiétante font penser à Shyamalan, également à Christine. Mais Bertuccelli a décidément choisi de rester au seuil des genres et peu à peu, le film s’épuise à agir en champs-contrechamps entre arbre et humains, ces derniers étant partagés entre sa sauvegarde et son abattage puisque dorénavant il menace la maison de ses racines et immenses branches.
Le film est donc une métaphore du deuil. Dawn s’enferme dans ce doux délire de réincarnation, refusant de passer véritablement à autre chose. Dès lors l’histoire, pourtant touchante et rondement menée, répétons-le, est affadie, dégonflée par un récit qui butte sur des barrières scénaristiques rendues étroites par ses possibilités initiales. Un tel refus du fantastique eût nécessité un réalisme plus fin, qui ne contienne pas autant de symptômes non détachables d’une psychologisation pesante.
Il eût été possible de diriger la seconde partie du film sur l’équilibre étonnant de cette famille. La mère, interprétée par Charlotte Gainsbourg, éthérée au possible, chancelante, autant déboussolée que blessée, traverse l’épreuve comme si elle venait juste de naître avec son vieux jean et son mètre 73, et qu’elle refusait le monde gentiment mais en bloc. Gainsbourg possède ici un mélange de candeur et d’effronterie enfantine qu’elle traduit gestuellement par un corps ondulant, désossé, sans jamais tomber dans la lascivité ou des expressions faciles (visage boudeur, yeux ébahis…). Cette grande justesse, en dehors de tout cliché, résonne bien auprès des enfants. D’abord la petite fille, efficace mais dont le personnage manque un peu de mystère, et les deux frères, chacun semblant garder secrète une personnalité singulière et forte. Ces personnages construisent un ensemble d’une rare justesse mais aux ressources presque inexploitées. Les deux jeunes bénéficient d’une sorte de hors-champ scénaristique puissant, très bien dosé, et qui les met dans une position de retrait face à cette question de réincarnation. Mais là encore ils n’interviennent pas, ou très peu.
Malgré cela, le parcours de cette famille échappe plutôt à la traditionnelle résolution, à l’acceptation formulée de la réalité et aux premiers pas finaux dans une situation qui semble déjà stabilisée. Le film s’occupe d’un moment bien précis de la vie des personnages et s’interrompt avant la fin des turbulences. Ce qui évite un peu les habituelles dernières minutes de conclusion, qui temporalisent trop, de même que le passager d’un vol se trouve coupé de sa rêverie sans repères spatio-temporels par l’annonce de l’atterrissage prochain. Il n’empêche, L’Arbre est à la fois un film qui manque paradoxalement de mystère, et qui se trompe de cible : on finit par en savoir plus sur le figuier que sur cette famille.