La classe, ce microcosme rempli d’individus hétéroclites, ce vivier de personnalités en gestation, ce lieu de protection, de violence, de vie, de partage… À la fois espace matériel (la salle) et symbolique (le groupe), la classe ne cesse de passionner toujours plus les cinéastes pour ses ressources dramatiques et scéniques. Du documentaire à la fiction, de Être et avoir à Entre les murs en passant par Monsieur Lazhar, le cinéma aime regarder la classe dans toutes ces configurations possibles, comme une entité à la fois repliées sur elle-même et symptomatique d’un certain état du monde. Dans La Cour de Babel, Julie Bertuccelli explore bien cette dialectique, en s’attachant aux particularités d’un ensemble singulier : la classe d’accueil d’un collège parisien, par laquelle transitent des élèves arrivés des quatre coins du monde.
Un monde moins ordinaire
On ne retrouve pas ici les qualités esthétiques de son cinéma de fiction (Depuis qu’Otar est parti, L’Arbre), mais on reconnaît son attention inflexible pour les sujets qu’elle filme. Sa caméra, qu’elle manipule elle-même pour minimiser le dispositif de tournage, s’attache à l’humain et saisit les émotions au fil de leur affleurement. Les visages, les regards, les gesticulations, les soupirs importent plus que la qualité plastique de l’image dans La Cour de Babel. La réalisatrice, rompue au documentaire, a suivi les élèves de Brigitte Cervoni pendant un an : sa proximité avec son sujet et son intimité avec les individus filmés sont donc inévitables. De cette absence de distance, le film fait pourtant une force, en demeurant presque tout le temps entre les quatre murs de la salle de classe, où le passage des mois n’est sensible que dans la façon dont les élèves s’expriment. De nouveaux mots dans leur vocabulaire, des accents plus intelligibles, une capacité croissante à verbaliser viennent suggérer le fil des saisons. Pour saisir la complexité de ces adolescents, la caméra virevolte, capte les visages en gros plans, élargit pour espionner les complicités naissantes… Ça fuse parfois dans tous les sens, suivant l’énergie d’une classe soudée mais en mal de reconnaissance, dans un établissement où ces élèves étrangers sont ramenés en permanence à leur altérité par leur rassemblement. Mais on rit, on s’esclaffe, on s’exprime, on s’insurge dans ce petit bout d’école de la république. Le montage tempère aussi des moments de calme, comme les rencontres parents-professeur où la complexité de ces élèves emportés, tantôt colériques, tantôt renfermés, est dévoilée avec pudeur. Les situations familiales et sociales variées font la richesse de cette classe hétéroclite, constituée de types d’individus qui ne seraient jamais rencontrés dans leurs pays d’origine.
Sans jamais être édifiant, La Cour de Babel affirme une sensibilité saine dans le portrait d’adolescents attachants et graves, confrontés non seulement à un âge d’incertitude, mais aussi à des problématiques identitaires complexes. La mixité sociale et ethnique du groupe est montrée comme une partie intégrante de la pédagogique de l’enseignante, figure à la fois autoritaire et éminemment maternelle. La poignante scène d’adieux, forcément lacrymogène, tire malheureusement le film vers une sentimentalité dont il sait pourtant faire l’économie.