L’Empreinte de l’ange est porteur d’au moins une excellente nouvelle : le cinéma français compte décidément des actrices contemporaines d’une rare amplitude. Sandrine Bonnaire évidemment, mais aussi Catherine Frot, qu’on se plaît de plus en plus à découvrir dans des registres plus dramatiques qu’à l’ordinaire, comme c’est le cas ici. Mais ce n’est pas, loin de là, la seule bonne surprise de ce film naviguant avec virtuosité entre réel et irréel.
Le deuxième long-métrage de Safy Nebbou, repéré en 2003 avec Le Cou de la girafe, tire ses justes notes d’une partition complexe, basculant entre drame psychologique et mise en scène empruntant les codes du thriller. Il suit la trajectoire de deux femmes que tout oppose, mais réunies dans une détermination (sociale et intime) : le rôle de mère. En allant chercher son fils Thomas à un goûter d’anniversaire, Elsa Valentin (Catherine Frot), remarque une petite fille, Lola, lui rappelant étrangement sa propre fille, morte à la naissance. Inspiré d’un fait réel, le film tisse sa trame autour des réactions diverses qu’entraîne cette découverte. Elsa est-elle folle ? Va-t-elle chercher à revoir Lola ? Comment son entourage va réagir à ce surgissement d’un passé jamais digéré ? Que s’est-il passé sept ans plus tôt ?
Le réalisateur a l’intelligence d’avoir très finement réfléchi au potentiel cinématographique d’une telle histoire. Sa réussite est de jouer sur différents registres : le fil psychologique, et le fil dramatique, tirant presque du côté du thriller, sont exploités sous toutes leurs facettes, sans jamais que l’histoire soit perdue de vue. Safy Nebbou a d’abord pris un soin particulier à dresser les portraits mentaux de deux femmes. Celui d’Elsa, personnage central, est accentué, quant Claire Vigneaux, la mère de Lola (Sandrine Bonnaire) est davantage cantonnée à sa représentation sociale : une belle femme bourgeoise bien mariée, aisée, dans une magnifique maison luxueuse et moderne. Ces deux femmes sont surtout dépeintes dans leur rôle maternel, et c’est un face à face quasi animal qui va s’engager entre elles autour de Lola. Une véritable traque, à l’affût de secrets et de non-dits.
Une telle histoire, restreinte à son unique ressort psychologique, aurait facilement pu lasser. C’est loin d’être le cas avec L’Empreinte de l’ange : d’abord parce qu’il met en scène deux très grandes actrices. Une Sandrine Bonnaire tout en retenue, drapée dans une perfection de façade presque glaciale, face à une Catherine Frot dont la palette des expressions et des émotions fascine. C’est grâce à ce personnage que le film prend son envol : la mise en scène, taillée au millimètre près, est tout entière calquée sur ce personnage complexe : ambigu, naviguant entre folie et raison, son passé et ses tourments intérieurs ne sont dévoilés que par bribes. Jouant sur ce suspense, Safy Nebbou parvient à déployer le genre du thriller dans un film qui aurait pu ne rester qu’au ras des pâquerettes.
L’Empreinte de l’ange surprend, jusqu’au bout, parce qu’il possède l’intelligence du jonglage audacieux avec différents genres cinématographiques. Avec cette histoire d’enfant mort qui ressurgit des années plus tard, le film possède un quelque chose de surnaturel, qui peut être exploité à bon escient dès lors qu’on ne sait jamais où va le personnage principal. La mise en scène sait tirer partie de ce jeu entre réel et irréel, en faisant appel à des codes jamais totalement balisés, mais enchevêtrés les uns aux autres. Ainsi, l’utilisation du Scope, avec sa faible profondeur de champ, installe une sensation propre à isoler le personnage. La traque de Lola par Elsa fait appel à tous les ressorts de l’angoisse : apparition d’Elsa là où elle ne devrait pas se trouver, poursuites, musique angoissantes lors du spectacle de danse de la petite, Elsa cachée dans les coulisses et dont Claire aperçoit brusquement le visage inquiétant dans ce même spectacle, cauchemar… Le montage fébrile et arythmique (un découpage sec suivi de longs plans-séquences) participe à cet effet de caméra, comme guidé par l’intériorité d’Elsa.
C’est, encore une fois, le déséquilibre de cette femme qui permet de rendre la sensation de vouloir arriver à un point et de s’en détourner brutalement, pour mieux le retrouver plus tard. Les différentes pistes exploitées par le personnage, vraies ou fausses, convergent vers des possibles proprement angoissants. Un suspense alimenté par les personnages secondaires qui servent parfaitement les deux actrices principales : du côté de Claire, une famille modèle, aimante et présente, et, de celui d’Elsa, peu d’amis, une instance de divorce, une relation difficile avec son fils, une famille la croyant en dépression.
Le réalisateur tient sa ligne jusqu’à l’ultime final, lui aussi surprenant. Toutes ces qualités font de L’Empreinte de l’ange un film singulier, à la mise en scène et à l’interprétation exigeantes, qui donne définitivement envie de suivre Safy Nebbou.