En séquestrant leur professeur d’anglais, Louis et Greg portent à son paroxysme l’âge bête, titre du roman de Pierre Boileau et Thomas Narcejac dont Comme un homme est l’adaptation, et tentent de contester l’autorité sans souci des conséquences de leur comportement. Pour son quatrième long-métrage, Safy Nebbou semble avoir pris la relation de filiation du casting comme argent comptant, néglige ses personnages et livre un film qui passe à côté de son sujet.
Souvenons-nous, avec beaucoup d’efforts, du récent Paradis perdu : comme la jeune Lucie du long-métrage d’Ève Deboise, Louis (Émile Berling) est un adolescent réservé, qui croise seulement quelques minutes son père dans l’escalier chaque jour (bien que celui-ci soit directeur de son lycée). Le jeune homme intériorise, a l’air de s’excuser chaque seconde pour sa présence : quand Émile Berling tente d’insuffler une quelconque réaction à son rôle, il n’en fait qu’apparaître les limites. L’adolescent apparaît fantomatique, affirmant uniquement son autonomie dans une séquence d’onanisme tout aussi opportuniste que celle de Paradis perdu, où l’identité de la jeune femme se limitait aussi à ses frustrations géographique (dans Comme un homme, elle est remplacée par la fonction du père, directeur d’une école à l’écran parce qu’il… y possède un bureau) et familiale. Mais le parallèle entre les deux films ne s’arrête pas là : dans les deux longs-métrages, il y a une séquestration, préméditée, censée donner un peu de sel à l’ensemble.
Dans ce registre approchant du film noir, Safy Nebbou assure le minimum, avec une ambiance d’humidité marécageuse qui serait acceptable si elle n’utilisait pas des procédés éprouvés, à savoir une musique angoissante et de longs travelling sur les arabesques des branchages se reflétant dans l’eau, ou bien se découpant sur le ciel… Outre ce décor qui sauve la photographie du film, difficile de cerner la cohésion de l’ensemble : le réalisateur se perd de temps à autre dans un soudain accès d’effets, entre modifications de l’image et montage saccadé, qui détruit les quelques passerelles difficilement dressées entre spectateur et personnages, Louis en tête. Même punition pour le directeur Verdier (Charles Berling), père de Louis, dont les apparitions sont limitées à des manifestations d’impuissance piochant à souhait dans le pathos. Derrière cette façade de distance entre les personnages et la caméra, Nebbou dissimule en effet des raccourcis grossiers, à l’image des évocations d’un événement tragique, partagés par le père comme le fils et constituant l’essentiel de leur passé commun. En perpétuelle retenue, desservis par des dialogues assommants, père et fils sont peu convaincants. Aux côtés du fils du directeur, Greg, son pendant rebelle, fait forcément figure de malade mental : « C’est juste mon ami » déclarera Louis à son père, sans que l’on sache vraiment qui il essaye de convaincre. Excepté le rôle qu’on leur a assigné, les deux adolescents n’ont pas de quotidien, pas d’activité autre que… faire des allers-retours entre la maison de leurs parents et la cabane où leur professeur d’anglais est enfermée.
Quant à la séquestration, elle n’est que l’occasion de créer un peu d’action dans cette procession de figures effacées : la séquestrée aura au moins l’occasion de disposer d’une envergure de jeu un peu plus importante, puisque la découverte de son ravisseur la fait passer de la terreur à la confiance en quelques scènes, probablement le climax du film. Aussi bien dans son allure visuelle que dans son déroulé dramatique, Comme un homme se contente de peu, et fait évoluer son arrière-plan de fait divers à vide, à tel point qu’il semble se reposer sur la seule ressemblance physique pour incarner la relation filiale. De cette dernière, on ne retiendra qu’une chose : les fils à papa ne s’en sortent pas toujours.