Dans un pays roulé-compressé par les invasions qui s’achèvent, Barmak Akram filme là un pur manifeste de l’après-guerre. Si le film peine à séduire, banalisant ses personnages en s’en écartant trop, il vaut néanmoins pour le témoignage qu’il nous livre d’un territoire trop médiatisé pour être vrai.
Khaled, chauffeur de taxi, découvre sur sa banquette arrière un nourrisson abandonné par une femme à burqa, corps masqué, cliente fantôme qui s’en est allée aussitôt déposée. Il croit qu’elle l’a oublié, qu’elle n’a pas fait exprès. Mais tous ses proches martèlent : quel genre de mère laisserait traîner son fils dans un taxi par étourderie ? Commence alors le chaos, l’agitation, la quête tout en sueurs et angoisses d’un tuteur pour l’enfant. L’abandonner, le garder, le confier, le donner, le reprendre, le restituer, que faire, soupirer, et se poser ces questions jusqu’à l’espéré coup du sort.
Sur le papier, L’Enfant de Kaboul a tout pour éblouir. À l’écriture, un Jean-Claude Carrière doublé d’un Atiq Rahimi (récent prix Goncourt) et à la caméra, un artiste multi-diplômé (Femis, Beaux-arts, Arts déco) déjà exposé à Beaubourg. Et le fébrile mais (re)naissant cinéma afghan justifie à lui seul que toute sortie nouvelle soit considérée comme un petit évènement, digne d’échos du moins. Seulement voilà, L’Enfant de Kaboul vaut essentiellement pour ce qu’il dit de l’Afghanistan, de ce pays en reconstruction plus que pour sa proposition de cinéma. C’est bien cette tournure documentaire qui accroche. Et il est frappant de constater combien ce film est proche d’une œuvre, très belle, sortie deux semaines plus tôt en France, À travers la poussière de Shawkat Amin Korki : récit d’un enfant oublié, laissé à l’abandon, perdu dans les rues d’un autre pays marqué par la guerre (l’Irak) et qu’on essaie de rendre à ses racines, à ses parents, ses pères. Si L’Enfant de Kaboul peine à séduire, il vaut au moins pour ce même témoignage, important, d’apatride.
Deux regards sur deux pays différents envahis par les mêmes armées nous parviennent sous cette forme : un enfant (un fils) ne parvenant plus à faire le lien avec ses pères oublieux. Et nous d’y voir un manifeste de l’après-guerre. Les invasions rompant le fil qui reliait les générations entre elles et tronçonnant une branche de l’arbre généalogique. Le peuple laissé aujourd’hui à la vie n’est plus que ruines familiales, patriarcales. Où le père ne parvient pas à avoir de fils. Où le fils ne parvient pas à avoir de père. La guerre aura tout brouillé du cycle de la vie, laissant dans l’amas les familles, le décor et l’avenir.
Si le film fait défaut, c’est peut-être dans la dépersonnalisation de ses personnages. Comme l’anonyme enfant, les héros, ce père, sa femme, son beau-père, leurs quatre filles, sont pleins d’états mais sans âme véritable. Si le constat d’ensemble du film vaut comme vérité générale, on a le sentiment que les personnages, dans leur flou, leur absence de singularité, n’existent jamais vraiment au-delà de leur être-concept. Dans un film désireux de vérité sociologique, Khaled et sa femme se perdent de vue et ne sont plus qu’échantillons pour des statistiques de grand écran. Comme si le réalisateur, dans sa généreuse quête de dire, avait trop reculé.