Roméo et Juliette s’aimèrent et eurent un enfant, Adam, qui tomba malade. D’une caméra frôlante et pudique, Valérie Donzelli livre un conte sur la douleur des parents sous forme d’art poétique cinématographique et de déclaration de guerre au désespoir mou, et d’amour à la création. Espérons qu’après avoir fait les belles heures de la Semaine de la Critique et du festival Paris Cinéma, La guerre est déclarée obtienne le succès en salle qu’il mérite amplement.
On a assez reproché au cinéma français de se regarder le nombril avec trop d’insistance pour apprécier le véritable dynamitage que constitue La guerre est déclarée. L’autobiographie comporte en elle-même le germe de la digression, et constitue peut-être le genre le plus adapté à l’explosion d’un intimisme parfois trop fade, et à l’enchaînement des tentatives à l’écran. La première humilité, peut-être, le premier talent, sans doute, de Valérie Donzelli est celui de raconter un épisode douloureux de son existence sans considérer que ce dernier soit en lui-même un objet cinématographique. L’autobiographie n’a pas de valeur parce qu’elle dévoile l’intimité, mais parce qu’elle transcende cette intimité en regard, et, par là-même, au cinéma, peut se métamorphoser en une forme d’art poétique, une sorte de manifeste personnel, sans nombrilisme aucun.
On retrouve dans le deuxième film de la réalisatrice de La Reine des pommes les mêmes aspects de prime abord : un couple (Valérie Donzelli elle-même et Jérémie Elkaïm), et un côté bricolé dont la sympathie se transforme ici en mystère parfois fort déroutant que son premier film contenait déjà, n’en déplaise aux ayatollahs de la critique prompts à s’emparer des maladresses d’un premier film. Force est de constater cependant que l’aspect ludique cinématographique est bien davantage pensé et développé dans La guerre est déclarée : la photographie est bien davantage soignée, et l’on retrouve toujours l’association des références, notamment celles, évidentes, à Truffaut (les iris, la voix off, l’utilisation à contre-temps de Vivaldi) et à Demy (le jeu sur la frontière entre le parlé et le chanté). Mais elles deviennent plus légères, paraissent parfois presque inconscientes, ou mieux appréhendées.
C’est surtout dans la construction et la capacité à ébaucher des enchevêtrements de tons, de rythmes et de genres sans que ces variations ne paraissent forcées ou surplombantes que Valérie Donzelli surprend. Le premier principe qui préside au développement de la narration est la rupture : les plans ne sont jamais là où on les attend, l’humour non plus. L’essence et la réussite d’une tragi-comédie résident probablement dans sa précision : La guerre est déclarée offre tout autant de moments de pointillisme comique au travers d’un titre de journal, d’une chanson de Jacqueline Taïeb ou d’une expression maladroite, que d’envolées pures et simples. Car la légèreté n’est ni un faux semblant qui renierait l’importance d’un récit ou sa profondeur, ni une pose, mais justement un regard.
De détournements en détournements, d’asymétries en asymétries, Valérie Donzelli réussit à créer une dramaturgie naturelle qu’est celle du kaléidoscope logique sans systématisme : ne reculant devant aucune scène pouvant prêter aux explosions d’émotion factice surlignée – comme celle, surprenante, de la révélation de la maladie d’Adam, Valérie Donzelli passe son film à tenter, à oser les coupures, les ruptures, les moments de saturation visuelle et sonore, les passages volontairement écrits, les scènes courtes qui font mouche et celles où elle s’attarde un peu plus, laissant coexister une liberté certaine qui n’affiche pas d’obsession de la maîtrise, et un sens évident d’architecte et de conteuse. Si l’on peut considérer que La Reine des pommes était, peut-être faute de moyens, un premier essai parfois bancal, La guerre est déclarée en est clairement la transformation.